lundi 22 avril 2024

MASSON - LACAN. Centre Pompidou Metz.

Le Centre Pompidou-Metz (dont les programmations ont toujours été remarquables) réunit actuellement deux figures dont il était légitime qu’elles se croisent à un moment donné, tant les liens entre ces deux personnages de la scène culturelle furent significatifs. Nés à 6 ans d’intervalle, André Masson (artiste et peintre, 1896-1987) et Jacques Lacan (psychanalyste) 1901-1981 n’eurent pas le même rapport à la guerre de 14-18.

Trop jeune pour être enrôlé, Lacan ne connut pas les horreurs de la grande guerre, que Masson vécut, lui, de manière directe en étant blessé sur le front, rapatrié sur l’arrière et interné un temps en hôpital psychiatrique.

Les liens entre les deux personnages sont d’abord pour une part largement « familiaux ». Ami de Georges Bataille et familier de Lacan, Masson était marié à Rose Maklès, sœur de Bianca, (épouse de Théodore Fraenkel, médecin proche des dadaïstes et des surréalistes), de Simone (épouse de Jean Piel, philosophe, écrivain et longtemps directeur des Editions de Minuit) et de Sylvia (qui fut l’épouse de Bataille avant de devenir la compagne puis l’épouse de Lacan).

Un noyau s’était ainsi formé ayant pour centre d’intérêt l’œuvre sulfureuse de Georges Bataille que Masson illustrera à plusieurs reprises (Histoire de l’Œil, l’Anus solaire, etc…). On comprend que Lacan en soit venu à demander à son ami peintre la réalisation d’un panneau permettant de « recouvrir » et masquer le fameux tableau de L’Origine du monde de Courbet, acheté par Lacan et sa compagne en 1955. - Les deux « tableaux » figurent dans l’exposition Lacan - pour le plaisir et la curiosité des visiteurs et visiteuses.

Le trauma vécu, en 1917, par Masson sur le front et l’expérience psychiatrique qui s’ensuivit dans les centres de Maison Blanche et de Ville-Évrard, exacerbèrent assurément sa propension à vivre des états limites - inconscients et subconscients. Son passage par le surréalisme ainsi que le compagnonnage tumultueux avec Breton ont très tôt ancré l’œuvre du peintre du côté d’une plongée dans les bas-fonds psychiques.

André Masson, Louis Aragon, 1924,
dessin à l'encre sur papier.
Collecttion particulière
©Adagp, 2023. ©Galerie Nathalie Seroussi.


Sur le plan de l’automatisme, il précède les recherches de Breton et d’Éluard sur l’écriture automatique, le puissant trauma de la guerre de 14-18 ayant joué un rôle fondateur dans le cas du dessin automatique, celui-ci apparaissant comme le développement - ultra-rapide et d’un seul tenant - d’une énergie accumulée et longtemps bloquée.

Les deux expositions - LACAN et MASSON - se chevauchent et s’interpénètrent donc de manière fort intéressante. Elles n’en conservent pas moins chacune une spécificité et une forme de puissance singulière. Il s’agit dans les deux cas de fortes propositions qui ne peuvent laisser le visiteur indifférent.

André Masson, Mon portrait au torrent,1945,
Encre de Chine sur papier. Centre Pompidou, Paris
©Adagp, Paris, 2023. Photo ©Philippe Migeat,
Centre Pompidou, MNAM/CCI/Dist. RMN-G.


ANDRÉ MASSON


Cette rétrospective André MASSON est un événement que beaucoup attendaient depuis longtemps. C’est un succès. Prenant comme fil conducteur, le double thème de la rébellion et des guerres auxquelles le peintre s’est toute sa vie opposé, l’œuvre s’est construite autour de quelques lignes de force : la puissance du désir et l’énergie vitale ; la rébellion constante et partagée (avec ses amis artistes) contre les institutions, les états guerriers (Franco, etc.) et les censures, un sens du mouvement et de la métamorphose aiguisé et puissant.

La reconstitution d’une partie de la bibliothèque d’André Masson, est un point d’orgue parfaitement opératoire dans le parcours même de l’exposition; on y retrouve (autour de la question de ses lectures - Baudelaire, Nietzsche, etc.-…) et des nombreux livres d’écrivains illustrés par Masson lui-même (Artaud, Sade, Bataille, Aragon, etc.) ce sens d’une ligne sinueuse, fulgurante et mouvementée.

Van Gogh disait peindre « dans le vent ». Profondément marqué par ses lectures (Héraclite, Nietzsche, etc.), Masson peint et dessine « dans le torrent » et la métamorphose. « Tout coule. Le monde est en perpétuel devenir ».

Les aléas de la ligne et du vent, des eaux et des courants d’air sont ceux-là mêmes de ces oiseaux qui parcourent de leur sillage la ligne automatique. Les flammèches de sa peinture, les circonvolutions du feu, du désir et des signes, tout cela épouse les mille et un plis et changements d’orientation des lignes.

René Magritte, Le Faux miroir, 1928,
huile sur toile. New York; Le MOMA
©ADAGP, Paris 2023. The Museum of Modern Art.


LACAN


Il s’agit ici de la première « exposition » consacrée à la figure de Jacques Lacan, psychanalyste et homme de culture qui n’a cessé de « jouer » avec les images et le système même de l’art ; il fut aussi collectionneur, notamment du fameux tableau de Courbet, L’Origine du monde. »

Réalisée sous le commissariat de Marie-Laure Bernadac et de Bernard Marcadé, cette exposition est une grande réussite. Et l’on ne saurait trop féliciter Chiara Parisi (Directrice du Centre Pompidou-Metz) d’avoir permis à ces deux fortes expositions de se rencontrer.

Le Caravage, Narcisse, 1594-1496,
huile sur toile. Palais Barberini, Rome, Italie.
Photo ©SCALA/Dist. Grand Palais/RMN.


Le « stade du miroir »joue, chez Lacan, un rôle fondateur dans l’histoire de la psyché. L’être humain se rencontre « comme autre » et comme « son propre congénère » par le truchement d’une image (eau, miroir, reflet) qui lui fait prendre conscience de son identité.

Les jeux de miroirs de René Magritte (Le Faux miroir, 1928), les ciels et les nuages en trompe-l’œil de Latifa Echkach (La Dépossession, 2014), apparaissent comme des sortes de cadres parfaits pour comprendre toute l’ambiguïté du rapport de Lacan à cette autre ambiguïté que recèle toute image.

« L’art nous dit-on, rencontre ici la psychanalyse ». Ou bien : est-ce la psychanalyse qui rencontre l’art et cherche à s’en dépêtrer… Il y a là une sorte de triple procédure, sournoise, rusée : l’ambiguïté, le langage, l’être au monde, au sexe et au corps…

On s’inscrit dans la plasticité, la métamorphose et la dérive des jeux de mots. — Lacan donc est-il sérieux ? N’est-on pas en permanence dans le trompe-l’œil et le malentendu : le Sinthome et les « noms du père » errent.

Je le sais bien, moi qui porte ce si curieux patronyme ou « Nom du Père », qui est celui de la Mère. Et pas de n’importe quelle mère puisque ce serait celle de « dieu ». - Cela en tout cas a toujours fait rire les Japonais qui n’ont pas de « Dieu unique », mais une ribambelle de « Kamis », esprits des lieux et des choses inexorablement déclinés au pluriel.

Lacan s’est, en tout cas, bien exporté au Japon. Gageons que les lignes enamourées des dessins d’André Masson y rejoignent la secrète calligraphie du Pays du Soleil levant…


Pour approfondir :

Communiqué de presse André Masson

Communiqué de presse Lacan

Livre : André Masson, les dessins automatiques

mercredi 13 mars 2024

Exposition MADÉ au Havre : Le Passage de la lumière.

Sur le mur, n° 3, 2012, Diptyque (blanc/bleu).


AU FIL DES LUMIÈRES
Œuvres de MADÉ

Galerie La Glacière,
3 rue Rollon, Le Havre
jusqu’au vendredi 15 et samedi 16 mars 2024 inclus.

« Les vibrations des grains de lumière circulent, glissent, rebondissent ou jouent à cache-cache dans le volume des couches de glacis, volume micro-mince certes, mais volume quand même… » (Madé).

Installée au Havre depuis 2020, Madé n’a cessé de se mouvoir et circuler dans l’atmosphère si particulière des nuages, des gris et des « glacis » de couleurs où se superposent de fines couches de couleurs transparentes : de l’acrylique diluée à l’eau. Les nuages, l’eau des bassins, les tourbillons des ciels des toiles d’Eugène Boudin (découvertes en 2016, lors d’une visite préalable), les toits gris et vitraux d’Auguste Perret… tout cela accompagne désormais la construction de l’univers pictural d’une artiste qui - longtemps - a vécu dans le blanc… le noir, le rouge… et recherche désormais les expressions possibles (et indéfinies) du GRIS.

Fréquemment présentés en diptyques, avec - parfois - un bref espace entre les panneaux de bois, les « supports » sont alors recouverts sur leurs tranches de coloris plus vifs. Comme ces verts dont on retrouve (en se déplaçant) la projection lumineuse et immatérielle, qui illumine l’œuvre d’un soudain passage ou glissement coloré. - Le spectateur découvre alors qu’il est lui-même appelé à révéler l’œuvre : rien qu’en se déplaçant et en bougeant.

« Sur un mur » 2 rectangles verts séparés
par un vide, acrylique.


Réalisées sur des panneaux de bois, ces « toiles » se situent de la sorte entre la peinture et la sculpture : sur certaines œuvres, Madé ajoute une mince (et plus restreinte) couche de bois supplémentaire, ce qui a pour fonction de créer de micro-dénivelés; la lumière s’y accroche créant un subtil effet de relief, une presque-sculpture.

Installation : à la recherche des gris.
Impression sur papiers de soie.


Ses gris se jouent de toutes les couleurs, utilisant tour à tour (ou ensemble) des sous-couches vertes, bleues ou bien rouges. Les couleurs les plus diverses y sont convoquées, superposées. Comme dans cette Installation : à la recherche des gris, où elle joue de la superposition de papiers de soie, transparents et colorés, dont les ombres mouvantes se déploient sur le mur, s’allongeant et changeant de formes et de couleurs au fur et à mesure du passage journalier de la lumière.

Dans une belle vidéo (dont on souhaiterait qu’elle puisse être accessible au public sur Internet), Madé développe, avec la finesse qu’on lui connaît, toute la complexité de sa démarche. Abstraite et concrète. Blanche, Grise. Toujours accompagnée ou soulignée d’un halo, d’une impression, nuance ou soupçon de couleur.

Bel hommage à la couleur et aux gris chantants du Havre. Toutes ces nuances qui - à la façon d’une ritournelle - accompagnent le promeneur au gré de son parcours le long des quais, des ciels, des architectures. Couleurs, nuages et œuvres mouvantes. Météorologie. Science infuse du ciel et de la lumière, tout au long des saisons…

Nota Bene : Toutes les photographies © Atelier blanc/Madé 2024.

Lien vers le site de Madé

Lien vers la Galerie La Glacière


« Sur un mur «, quatre gris
(du 06/04/23 au 12/03/2024), acrylique.


mardi 13 février 2024

Antonin ARTAUD et André BRETON chez Lise DEHARME (1935).

1* André Breton, Antonin Artaud et Paul Eluard.
Cliché pris chez Lise Deharme,
Montfort-en-Chalosse, été 1935.
(Archives départementales des Landes).


La grande surprise du livre de Nicolas Perge (Lise Deharme, Cygne noir, Jean-Claude Lattès, paru à l’automne 2023**) fut pour moi la découverte de cette photographie sur laquelle posent ensemble trois représentants de ce qui fut nommé la Centrale surréaliste : André Breton, Antonin Artaud et Paul Eluard. Nous sommes en 1935. Le temps a passé depuis le temps où ils naviguaient tous dans le même bateau… des "Dadas".

Cette photographie m’est apparue extraordinaire dans la mesure où c’est le seul document que je connaisse où l’on voit ensemble Artaud et Breton, de surcroît très proches l’un de l’autre puisqu’ils se touchent. On comprend bien qu’ils posent et que le (ou la) photographe a souhaité un rapprochement des personnages. Ce que corrobore un cliché « jumeau » (voir plus bas) dans lequel une distance entre les personnages est instaurée.

Il faut avoir à l’esprit qu’Artaud est (curieusement) à peu près totalement absent de l’iconographie surréaliste. Nombreuses sont autour de 1924 les photos de groupe représentant les membres de la Centrale surréaliste. Artaud n’y figure pas. Cette photographie est donc surprenante et tout à fait unique en son genre qui montre - durant l’été 1935, dans le jardin de la propriété de Lise Deharme dans les Landes, à Montfort-en-Chalosse - Artaud et Breton, se tenant par les épaules. - Breton s’appuie en tout cas sur l’épaule d’Artaud.

Ces documents ayant appartenu à Lise Deharme ne sont que depuis peu disponibles aux Archives des Landes. En 2006 (au momant où je bouclais mon ouvrage sur la vie d'Antonin Artaud, je n’ai donc pu en avoir connaissance). Le biographe travaille à partir des documents dont il dispose et qu’il peut consulter. Antonin Artaud fut des décennies durant « chasse gardée » et territoire interdit. Bien des documents ressortent aujourd’hui - pour des raisons très diverses. Amenant des surprises et des découvertes.

Cette photographie est pleine de sens : en ce qui concerne déjà le rapport des deux hommes entre eux et en ce qui concerne aussi l’état d’Antonin Artaud en cet été 1935. Quel est le contexte ? — Au printemps 35, ce fut pour Artaud l’aventure de sa pièce de théâtre, Les Cenci. Aventure rudement menée, évènement mondain largement commenté par la presse, certaines des critiques parues n’étant pas du tout négatives… loin s’en faut. Commercialement parlant, ce fut un échec et Artaud le ressentit pour une part comme tel. Le poète a donc traversé des mois difficiles et prit maintes substances toxiques. Il cherche alors à se désintoxiquer en clinique et le fera en septembre à son retour à Paris.

Depuis quelque temps, il envisage de partir au Mexique, sur les traces des anciennes cultures précolombiennes. Il a déjà pris des contacts et s’en est ouvert à Jean Paulhan. La « machine mexicaine » est donc sur les rails. - Le 23 août - et sur un registre plus personnel- eut lieu le décès d’Yvonne Allendy, figure féminine tutélaire qui joua un rôle certain dans la vie d’Artaud. Le poète est donc dans une passe difficile.

Depuis 1924, les relations d’Artaud et de Breton ont connu des hauts et des bas. Ils se sont violemment affrontés et souvent réconciliés. De manière parfois superficielle, mais aussi d’une manière plus profonde, chacun suivant sa route et traçant son sillon. Ajoutons qu’une part de théâtre et d’esbrouffe doit jouer aussi dans ces escarmouches mondaines.

À l’été 35, Artaud semble ne pas avoir participé au tournage du film de Man Ray, dans la maison de Lise Deharme. Chaque jour il se rendait au village, chez Marie Dubuc, institutrice du village douée de dons de voyance et avec laquelle il entretint une correspondance qui se prolongera durant l’aventure mexicaine.

Le plus étonnant dans la photo ci-dessus c’est cette proximité tactile des personnages. Ceci est d’autant plus surprenant que c’est une époque où Artaud commence à présenter des phobies de contacts. Il ne supportera pas qu’on le touche ou qu’on touche les objets défensifs dont il va s’entourer (la petite épée de Tolède, don d’un sorcier à Cuba ; la canne de Saint Patrick qu’il emportera en Irlande comme un talisman et sur laquelle on ne devait pas porter la main).

Il est difficile de gloser sur les relations de ces deux personnages durant ce séjour. Ce que l’on sait, c’est qu’Artaud est alors très mal et en instance d’une cure de désintoxication. Le journal tenu par Lise Deharme précise alors que ses compagnons de séjour se sont plaints de ce que Artaud déplace des meubles la nuit. La maîtresse de maison intervient et tout rentre dans l’ordre. Lise demande aussi au poète de mettre un peu d’ordre dans sa tenue vestimentaire ; celui-ci s’exécute et elle le voir réapparaître en vrai dandy, propre et cheveux gominés. La tenue légère et le pantalon clair qu’il arbore sur la photo font sans doute partie de ce nouveau look. Marie Dubuc précisera plus tard qu’elle l’entendait arriver chez elle « avec sa silhouette svelte » et ses « sandales nouées à la grecque ».

2* André Breton, Antonin Artaud et Paul Eluard.
Cliché pris chez Lise Deharme,
Montfort-en-Chalosse, été 1935.
(Archives départementales des Landes).


Les deux clichés conservés diffèrent par l’attitude des personnages qui ou se sont disjoints ou, au contraire, se sont à un moment rapprochés : on ne sait quel est le premier cliché. Et là aussi, il y a surprise : aucun document connu ne nous montre Artaud (Antonin de son surnom) les bras nus. Il est généralement affublé de costumes et (au cinéma) de chasubles amples et monastiques ou de vêtements qui dissimulent son anatomie.

Nus, blancs et croisés, ses bras s’avèrent de surcroît très musclés. Physiquement parlant, il semble très athlétique. Ce qui peut sembler aller de soi chez un acteur de théâtre qui n’a cessé d’évoquer ce qu’il dénomme « un athlétisme affectif » et a sans doute pratiqué des exercices corporels. On sait qu’il marche beaucoup et l’on découvre en lui cette « chair », qu’il a tant évoquée pour la vilipender. Comme dans ces textes où le corps revêt les apparences d’une « momie de chair fraîche ».

On va me dire que j’exagère, que tout cela est bien trivial. — Mais, justement, il y a, chez Artaud, quelque chose de fondamentalement trivial dans la chair.

Dora Maar, présente à Montfort, en ce même mois, enregistra alors plusieurs scènes collectives. Comme ce repas pris chez Lise Deharme. Sur un des bords de l’image, on y trouve (ô ironie de l’histoire) une « moitié d’Artaud », que l’on reconnaît à son bras nu et à son pull foncé aux manches courtes. Tout autour Lise Deharme, Breton, sa femme Jacqueline, Tristan, etc. Artaud est bien là… mais coupé en deux au ras de l’image… On croit comprendre qu’il n’est pas au cœur des préoccupations.

Ces photos témoignent d’une certaine familiarité entre Artaud et Breton, celle qu’on peut imaginer entre deux personnages qui se connaissent depuis longtemps et qui survit aux querelles. — Au Mexique, Artaud évoquera d’ailleurs le surréalisme dans ses conférences à la façon dont on se souvient d’une sorte d’âge d’or perdu.

Le 15 novembre de la même année, Artaud fera, chez Lise Deharme, une lecture de sa pièce « le Supplice de Tantale » (pièce aujourd’hui perdue). Il y convie Breton. On ne sait si celui-ci est venu et s’ils se sont revus. L’aventure mexicaine se concrétise, Artaud part en janvier 36 ; les deux hommes ne se reverront que fin 1936, au hasard d’une rencontre dans un café de Montparnasse.

Je renverrai pour finir à cet Entretien que j’eus avec Floriano Martins et Wolfgang Pannek : "Antonin Artaud et le surréalisme. Le « bateau des Dadas » **. Aucune question ne m’avait alors été posée sur cette muse et mécène des avant-gardes, disparue des radars culturels au fil des ans. Le point de départ de cet entretien était pourtant ma biographie du poète (C’était Antonin Artaud, Fayard 2006) où figurent bien des éléments relatifs aux relations d’Artaud avec Lise et Paul Deharme. Le Livre de Nicolas Perge devrait raviver l’intérêt porté aux interactions de ces trois personnages.


* Concernant les photos des Archives départementales des Landes, la photo 1 a la cote 107 J 54-19-012 et la photo 2 la cote 107 J 54-19-011.

** On trouvera une critique de ce livre dans le blog précédent, du 11 février 2024.

** Entretien Antonin Artaud et le surréalisme, le « bateau des Dadas »


dimanche 11 février 2024

Lise DEHARME, CYGNE NOIR, Dame de pique, Mécène et créatrice.

Nicolas Perge, Lise Deharme, Cygne Noir, Paris,
Éditions Lattès, 2023. Couverture du livre.
(Photographie de Man Ray).


« Lorsque nous nous quitterons, vous pourrez dire que nous ne nous sommes jamais rencontrés » (Lise Deharme, L’Enchanteur, 1964)

Cygne noir, Dame de pique, muse, mécène, égérie d’André Breton, femme de lettres et d’idées, connue pour son salon littéraire où se pressaient les artistes de l’avant-garde, Lise Deharme (1898-1980), née Hirtz, épousera successivement Pierre Meyer (héritier des Magasins Old England et artiste de music-hall) puis Paul Deharme, (publicitaire et créateur de programmes radiophoniques, qui s’entourera d’artistes et d’écrivains comme Robert Desnos,le cubain Alejo Carpentier ou Antonin Artaud qui tint le rôle fameux de Fantômas à la radio).

Née dans le milieu de la grande bourgeoisie, dotée longtemps d’une fortune considérable, Lise Deharme mit toute son énergie et ses talents à défendre les turbulences et excentricités du surréalisme et des avant-gardes de l’époque. André Breton la rencontre en 1924 et en devient « fou amoureux ». Un de ses gants (bleu ciel et en agneau) orna un temps les murs de la Centrale surréaliste avant d’être un des objets fétiches du roman de Breton (Nadja) et d’être sublimé sous les aspects d’une sculpture en bronze.

Lise ne cédera cependant pas au Pape du surréalisme. Elle fait tout pour le séduire, le « magnétiser », mais se dérobe. Cygne noir, Dame de pique (Man Ray l’immortalisera ainsi dans un montage photographique), fée bienveillante mais aussi souvent Carabosse, elle tisse sa toile autour de ses nombreuses proies et se montre aussi experte en cruautés qu’en caresses.

Ce qui dénote de sa part une fine analyse de ce que fut tout un pan de « l’amour fou » surréaliste : une exacerbation des passions poussées jusqu’à des points et des limites ultimes. Elle n’entend aucunement faire partie du « tableau de chasse » de ce collectionneur de papillons féminins que fut André Breton.

D’emblée elle situe son emprise sur l’être aimé très au-delà. Breton fut un des personnages clés de son existence, une sorte d’icône en poésie. À sa mort, en 1966, elle dira qu’elle a perdu « son mari ». Ce qui sera diversement apprécié par son entourage !

Depuis son enfance, elle vit entourée d’œuvres d’art et de beaux objets, peuple ses maisons de grandes volières et de plantes à foison. Son monde esthétique est celui du symbolisme, de l’art nouveau, du surréalisme et des avant-gardes qu’elle soutient financièrement (dada, surréalisme, art déco, cubisme, Picasso, Cocteau, Man Ray, Miro, Giacometti, etc.).

Elle fera aussi appel aux talents féminins, demandant à Claude Cahun d’illustrer un de ses livres pour enfant (Le Cœur de Pic, trente deux poèmes pour les enfants, 1936, José Corti). Léonor Fini illustrera un autre de ses livres (Ô Violette ou la Politesse des végétaux (Losfeld, 1969). Dora Maar participe aux événements qu’elle organise l’été dans sa maison de Montfort-en-Chalosse, immortalisant le regroupement de ses amis surréalistes.

Rien cependant qui pourrait la rapprocher du féminisme. Si elle règne, c’est en tant que femme et séductrice (sur le plan sensuel comme sur le plan des idées ou des créations quelle ne cesse d’enfiler comme autant de perles précieuses). Du MLF, beaucoup plus tard, elle déclarera - mi figue, mi raisin - qu’il s’agit là du « Mouvement de libération des Fées ».

Sur le plan politique - et suivant en cela Breton - elle n’aura de cesse de se rapprocher du Parti communiste. Elle n’en demeure pas moins une sorte d’anarchiste bourgeoise, dépensant son argent et ses talents pour faire vivre ses amis artistes, tout en créant une sorte de bulle de beauté et d’insouciance aiguisée. Elle organise des fêtes, crée une revue, suscite œuvres et rencontres. Elle chargera Le Corbusier de lui élaborer les plans d’une superbe maison. Le prix toutefois fera renoncer au projet.

Elle adore se retrouver en belle compagnie dans sa maison de Montfort-en-Chalosse. À l’été 1935, Man Ray, Breton, Eluard, Nusch, Jacqueline Breton s’y retrouvent. Autour du tournage d’un film de Man Ray, commandité par Lise. Ils s’y sont beaucoup amusés. La pellicule s’étant malheureusement rayée (ah ! Les hasards surréalistes !), il ne reste aujourd’hui que quelques photogrammes et des photos.

Antonin Artaud les avait rejoint, qui fut immortalisé avec Breton et Paul Eluard dans une saisissante photographie*. Il ne semble pas avoir participé au film et se rendait chez l’institutrice du village, Marie Dubuc, qui possédait certains dons de voyance et avec laquelle il entretiendra par la suite toute une correspondance.

Mais l’enchantement de la fête et les beautés de la création ne recouvrent pas, à eux seuls, la vie de Louise Deharme. Il y a, en cette femme, une blessure secrète qui en fait un personnage étrange,fantasque et tourmenté. D’une enfance solitaire où elle apparaît comme mal aimée par sa mère et quelque peu délaissée par son père - un chirurgien renommé qui n’a guère le temps d’y prêter attention - elle gardera un sens de l’étrange. Un de ses passe-temps favoris dans sa très petite enfance fut de se rouler dans la boue d’une mare qu’elle retrouvait avec délice au fin fond du bois de Boulogne. Au grand dam des passants et de sa propre nounou.

Elle est vive, n’en fait qu’à sa tête et se montre coléreuse. Son premier mariage avec Pierre Meyer lui permet de fuir sa famille. Elle finit par se séparer de ce dernier, gardant avec elle sa fille Hyacinthe, avec laquelle les rapports seront toujours désastreux. Lise n’a pas la fibre maternelle. Sa fille, à sa mort, s’en souviendra qui brûlera une grande part de sa correspondance, ses cahiers et manuscrits.

En 1924, elle rencontre Paul Deharme, qui sera le grand amour de sa vie, mais décédera de manière prématurée en 1934. Ce alors sont les années les plus flamboyantes de Lise. Elle rayonne. Et règne en maîtresse (à l’instar d’Anna de Noailles) sur le Paris des Lettres et des Arts.

La guerre mettra un terme à l’éclat de cette vie mondaine. D’origine juive par sa mère, elle demeure à Paris un temps. Sa mère est arrêtée et restera en prison durant un an. Lise fuit ensuite Paris avec ses enfants (Hyacinthe et Tristan). Remariée avec Jacques Parsons (un ami de Paul), elle se lance, après-guerre, à corps perdu dans l’écriture de livres et de romans. Oubliés aujourd’hui, ceux-ci défrayent souvent la chronique par leur parfum de scandale, un érotisme assez noir et la mise en scène de rapports sociaux non conventionnels.

Sa fortune s’émiette progressivement. Jacques Parsons meurt en 1978. Ses enfants l’ont quittée. Elle est de plus en plus seule, vend la propriété de Montfort-en-Chalosse et meurt en 1980, dans une clinique du Trocadéro. Son fils, Tristan (qu'elle a eu avec Paul), viendra reconnaître son corps. Le cygne noir a rabattu ses ailes.

Le livre de Nicolas Perge, tout à la fois enchanteur, léger, et caustique, déroule avec talent la vie hors du commun de cette égérie de l’entre-deux guerres. Muse et créatrice dans l’âme, elle fit vivre la meute surréaliste et participa à ses jeux - jeux des sens, des arts et des idées. Plus près du roman que de l’essai, cet ouvrage retrace avec aisance la trajectoire de cette femme sensible et désaccordée, mondaine et cruelle… jusqu’avec ses enfants. Tout un monde surgit et se rappelle à notre souvenir. Il ne reste qu’à ouvrir les pages et soulever les masques… « Lise Deharme, écrivait Jean Cocteau en 1961, évoque toujours pour moi le soleil noir de la mélancolie de Dürer »

Nota Bene - Tous mes remerciements à Nicolas Perge et aux Archives des Landes.

*Je reviendrai sur cette photographie dans le prochain « papier » de ce blog.

Couverture du livre de Lise Hirtz (Deharme),
illustré par Miro, Jeanne Bûcher, 1928.


lundi 5 février 2024



TOUTES LES COULEURS DE VAN GOGH - L’exposition des dernières toiles de Van Gogh à
Auvers-sur-Oise vient de quitter les cimaises
du Musée d’Orsay.
Mais le fonds van Gogh à Orsay reste visible.
Et les livres aussi demeurent accessibles.

Antonin Artaud, Portraits et gris-gris

Van Gogh, L’argent, l’or, le cuivre, la couleur

Vincent Van Gogh/Antonin Artaud
Ciné-roman, Ciné-peinture


"L’être de l’étant" de la Tatane de Van Gogh


lundi 1 janvier 2024

2024. LUNA. La LUNE. The MOON.

LUNA. LA LUNE, The MOON, etc.

Le thème est pléthorique. Toutes les civilisations et les différents arts ont abondamment brodé sur l’astre pâle qui surgit la nuit, éclairant le ciel et les humains de lueurs blafardes et magnétiques.

Cette LUNE, je l’ai souvent - dans mon propre parcours d’écrivain, d’analyste ou de vidéaste - racontée, analysée, célébrée (« Cent lunes au pays du soleil levant », in Revue d’Esthétique, De la Lumière, n° 37, 2000). Et surtout dans ce livre « Télévision, la lune » (Editions Des Femmes 1985), ainsi que dans la bande vidéo et installation que Nil Yalter et moi-même avons construites à partir de ce texte (1992-1993).

A l’aube de cette année 2024, les douleurs et les échardes sous la peau malmenée du monde, la tristesse que les nouvelles viennent glisser sous l’os et l’équille de nos talons appellent - en puissant contrecoup et réflexe de survie - à revisiter la force de cet imaginaire troublé/troublant de la NUIT et du SONGE.

Les chansons de nos enfances (Au clair de la lune, Mon ami Pierrot) nous reviennent en mémoire. Il s’agit là d’un vaste territoire aux accents tantôt ludiques, tantôt lugubres. Souvent nostalgiques et d’une intense poésie.

Laissez-moi vous entraîner au cœur de ces sons cristallins, ces arpèges, ces blues et poèmes d’avant-garde.

L’image qui m’est venue d’emblée appartient au cinématographe naissant. Le Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902). Inspiré par les voyages autour de la terre de Jules Verne et muet à l’origine, le film connaîtra de multiples accompagnements musicaux.

« Le Voyage dans la Lune » de Georges MÉLIES


Pièce maîtresse de cette thématique astrale, le Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg nous entraîne sur le terrain ô combien cristallin de la voix. Composé en 1912, à partir de 21 des poèmes du Pierrot lunaire du poète belge Albert Giraud (1884), l’œuvre se caractérise par une expression vocale particulière - le Parlé/Chanté. L’esprit humain s’aventure là dans une terra incognita du son. Le vertige saisit, éblouit, en une forme de transcendance.

« Le vin que l’on boit par les yeux
A flots verts de la lune coule,
Et submerge comme une houle
Les horizons silencieux. » (…)
D’un rayon de Lune fantasque
Luisent les flacons de cristal.
Comme un crachat sanguinolent
De la bouche d’un phtisique,
Il tombe de cette musique
Un charme morbide et dolent ».


Arnold SCHOENBERG, « Pierrot Lunaire »


L’astre lunaire parcourt ensuite les univers complexes du blues, du rock et des expressions vocales d’avant-garde. « Blue Moon », chanson composée en 1934 par Connee Boswell, sera reprise par de nombreux chanteurs dont Billie Holiday (1954).

Billie HOLIDAY, « Blue Moon »


On terminera par la poésie d’avant-garde de Yoko Ono ("Moonbeams, les rayons de lune") :

Les rayons de lune fondent
Dans mon sang
En hiver
La neige nous a protégés
Couvrant notre douleur

Maintenant j'entends la glace craquer
Lentement dans mon cerveau
Mon cœur rumine tes doux mots
Pendant que ma main étrangle les oiseaux

Les gens sont des planètes
Leurs âmes sont des soleils
En orbite autour de la piste de danse
De notre club cosmique

Il pleuvait des nuages d'orage
Mais maintenant ils sont partis
Mon esprit apparaît comme le soleil à l'aube

Les rayons de lune déploient leurs ailes
Font briller mes bagues
J’en ai reçu de mes trois maris
Ce qui m'a obligée à rester à la maison

Mon cœur rumine tes doux mots
Pendant que mes mains écorchent les oiseaux
Le printemps est de retour
Le battement de ton coeur m'appelle


Yoko ONO, «  Moonbeams »


jeudi 7 décembre 2023

VAN GOGH / Auvers-sur-Oise. VERT. BLEU. BLANC.

Champ de blé sous un ciel orageux,
Juillet 1890, Auvers-Sur-Oise (Photo DR).


VAN GOGH À AUVERS-SUR-OISE
LES DERNIERS MOIS.


Musée d’ORSAY (Paris).
Du 3 octobre 2023 au 4 février 2024.


L’actuelle exposition du Musée d’Orsay est une merveille. Découvrir un autre van Gogh - méconnu, pour une part inconnu. Si peu montré. Cela relève du miracle.

L’essentiel ici se joue au niveau des couleurs. Les dominantes y sont le BLEU, le VERT, le BLANC. Bleu des ciels nuageux, pluvieux ou tourmentés de l’Oise. Bleu d’améthyste. Bleu franc d’éclaircies. Bleu des « entre-deux », lorsque se succèdent la pluie, le soleil, les averses, les ondées, l’orage.

Le VERT n’y est plus celui (soutenu, franc) du café d’Arles. Il y est réséda, céladon, trempé de blanc. Assourdi et si pur qu’il en fond dans la bouche. Vert des blés tendres, des bosquets aux boucles feuillues, agitées. En virgules. En vrilles. En escarmouches. En spirales. Le bleu et le vert : voici une nouvelle paire de contraires qui, sur la palette, se sont renouvelés.

Cette nouvelle science de la couleur repose désormais sur l’utilisation massive du blanc. Ce blanc crémeux s’infiltre partout dans le paysage, allège et intensifie le mouvement tourbillonnant de la lumière. Dans le ciel d’abord, où roulent et se meuvent les nuages. Ces nuages des ciels de l’Oise. Et l’on a des tourbillons, des vagues de blancheurs, des tournoiements neigeux.

Meules de blé, Auvers, 1890. (Photo DR).


Le blanc (d’argent ou bien de zinc) se transmue en blanc de lait ou bien « d’ivoire » . Il fait désormais partie intégrante de la palette de van Gogh, se mélange aux autres couleurs, se mêle aux verts, aux bleus, mais aussi au jaune. Les divers jaunes, des blés, des prés, sont eux-mêmes tendrement éclaircis de cette lueur qu’apporte une touche de blanc crayeux. Les meules n’y sont plus éclatantes comme celles du pays d’Arles. Ces meules se sont adoucies. Le paysage est d’or blanc. D’un or fin et délicat, ciselé dans la blancheur.

Ces couleurs assourdies font chanter (par contraste) les autres couleurs : les rouges, les roses, les carmins, orangés et violacés : couleurs des massifs, des bouquets…

Ces couleurs épousent le mouvement du vent. Les arbres, les végétaux y sont des flammèches, des torches de verdures, des boucles et des chevelures. Et l’on a des vagues, des rouleaux, des frémissements. Comme si la mer n’était pas loin. Van Gogh, dans toute sa vie, n’aura cessé de peindre des vagues, des remous.

Tout cela est affaire de peinture, de dessin, de calligraphie, enrobés dans une sorte de tendre japonisme… celui des estampes et des rouleaux peints. Le format même du panoramique ou « double carré », utilisé alors assez systématiquement dans un certain nombre de toiles, entraîne le spectateur dans un double processus d’immersion et de déroulement, de parcours du regard.

Paysage avec pluie, Auvers, 1890. (Photo DR).


Une toile m’a enchantée, qui représente un Paysage sous la pluie. Le tableau y est rayé, divisé et cloisonné, en une sorte de paravent aux plans multiples. De manière certes fort discrète. Mais le paysage en ressort disloqué. Recomposé. Reconstruit. Transformé en une multitude de facettes, de « points de vue ». On songe à ces estampes japonaises toutes zébrés par les traits rageurs d’une pluie fine.

Hiroshige, Pont sous la pluie, 1857. (Photo DR).


Au crépuscule, toutefois, de sourdes et puissantes couleurs réintègrent, dans les toiles d’Auvers, les champs d’orgue de la période arlésienne. Le Champ de blé aux corbeaux est de ces paysages aux accents orageux.

Je me dis - finalement - qu’il faudrait imaginer van Gogh peignant la mer. Ses écheveaux, ses bourrasques, ses plis et replis, l’immensité de ses vagues et vaguelettes et jusqu’à ce réseau insensé de mouvements et d’orientations contraires.

La mer et le ciel, le bleu et le blanc. L’un et l’une dans l’autre. Le gris et le vert, l’huître et le coquillage. Et cette masse blanche - l’écume des champs, des nuages - qui vient et revient, part et repart…

La plaine à Auvers sur Oise, 1890. Détail (Photo DR).


Conférence inaugurale de
l'exposition Van Gogh à Auvers-sur-Oise.


Un été Van Gogh (2010).


Bibliographie:
Catalogue du Musée : Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Paris, Co-édition Hazan et le Musée d’Orsay, 2023.
Florence de Mèredieu, Van Gogh, l’Argent, l’or, le cuivre, la couleur, Paris, Blusson, 2012 ;
Vincent van Gogh / Antonin Artaud, Ciné-roman, Ciné-peinture, Paris, Blusson, 2014

jeudi 23 novembre 2023

PARIS PHOTO 2023. Portraits.

William Klein, Gainsbourg, « Love on the Beat »,
couverture d’album, 1984.


PARIS PHOTO 2023.
Grand Palais Éphémère, Paris,
du 9 au au 12 novembre 2023.

L’Histoire de la photographie est dominée par deux grandes thématiques : l’art du portrait, l’art du paysage, thématiques bien présentes dans le dernier PARIS/PHOTO 2023. Nous laisserons de côté l’art (si souvent sublime) du paysage pour nous tourner aujourd’hui vers le PORTRAIT.

Le portrait - et tout spécialement la figure humaine : laissons de côté les figurations et portraits animaliers - pullule dès le 19e siècle, dans un large panel qui va de Disdéri et ses cartes de visite multiples dont la fonction sociale et de communication est évidente, jusqu’aux représentations éthérées et à l’esthétique du beau de Julia Margaret Cameron. Du portrait en pied à la représentation fidèle (ou sublimée du visage) la représentation que l’homme et la femme se font d’eux-mêmes évolue au gré des modes et du développement des techniques.

Le 20e siècle n’a pas failli à la règle et révélé l’humaine condition sous toutes ses facettes. Le laid, le beau, le ridicule, le monstrueux (Diane Arbus), l’exotique (la photographie coloniale), l’érotique (le stand d’art brut de Christian Berst expose cette année des montages de Polaroïd de Tom Wilkins, My Tv Girls : toute une myriade de seins de femmes photographiés sur l’écran de télévision), etc. Les photographes ont ajusté l’image aux modes et aux usages, usé de tous les styles et de toutes les techniques pour mieux cerner, traquer et capter le moindre frémissement des traits d’un visage ou des formes d’un corps (cf. Les miroirs et déformations de Kertesz)

Parmi les images repérées cette année dans les allées du Grand Palais éphémère, l’étonnant portrait de Serge Gainsbourg, cliché par William Klein en une sorte de Rrose Sélavy aux accents très pop. Une Rrose Sélavy à l’œil charbonneux et aux lèvres soulignées d’un fard rouge et brumeux, mais qui n’en disparaît pas moins dans le nuage du mince cigarillo qu’elle tient comme un trophée. Les ongles mêmes (de faux ongles…) sont manucurés et vernis. La demande était venue de Gainsbourg lui-même qui, pour relancer sa carrière, souhaitait se faire photographier en travesti. Et non pas comme « une vieille pute ». Il voulait « être belle ». Message reçu et exaucé à 100% par le photographe. (Propos de William Klein, Entretien sur France Culture)

Tseng Kwong Chi,
Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, 1985.


Autres portraits d’artistes, le beau doublé du photographe chinois Tseng Kwong Chi qui réussit un des nombreux portraits croisés d’Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat. Les deux artistes posent devant une de leurs œuvres à quatre mains. Ici : Félix the Cat. - Peinture, graffiti et bandes dessinées s’associent à l’art du portrait. On ne sait plus ce qui passe alors au premier plan : de la peinture du fond ou bien des deux artistes qui nous font face.

Valérie Belin, Cassiopée (Lady Stardust), 2023.
Tirage pigmentaire. Galerie Nathalie Obadia.


Écho à "Lady Stardust", chanson de David Bowie, et en hommage à Marc Bilan chanteur de « glam rock » aux allures androgynes (1972), Valérie Belin campe une image très moderniste ; le modèle est ici photographié dans un contexte artificiel et reconstruit. La figure devient inséparable de son décor.

Julio Bittencourt
In a window of the Prestes Maia Building 911,
2005-2008, Détail.


De Julio Bittencourt, artiste brésilien, on retiendra cet extrait d’un impressionnant photomontage embrassant les fenêtres de la barre d’immeuble d’un quartier populaire de Sao Paulo (22 étages- devenu au fil du temps un des plus grands squats d’Amérique du Sud, regroupant jusqu’à plus de 700 familles). Chaque fenêtre présente une famille ou un individu particulier. Méditation photographique sur l’un et le multiple : Julio Bettencourt traque l’existence de formes de singularités au sein d’un grand ensemble de fenêtres - et d’humains. Dans l’embrasure de chaque fenêtre, on découvre une explosion de sentiments et une personnalité propre.

On terminera la promenade par un portrait "lumineux", intimiste et décalé, de Boubat, à la « Boubat », dans la désuétude et la poésie du noir et blanc. Portrait féminin adossé et fondu dans un paysage mixte. A la fois intérieur (le chambranle de la fenêtre grande ouverte faisant cadre, ponctué d’une plante élancé qui attrape le soleil irradiant la chevelure) et extérieur: vue en avalanche sur les toits de Paris. Lucarnes, toitures de zinc et immeubles s’échelonnant dans le lointain. Tout est gris. Et blanc. Et noir. Avec des dégradés, des camaïeux lumineux.

Edouard Boubat, Leila à la fenêtre, Paris, 1948.


Podcast Klein/Gainsbourg sur France Culture.


Lien vers Paris Photo 2023.


vendredi 17 novembre 2023

Colette THOMAS, Fragments posthumes. CETTE FOIS-CI, LA FORÊT…

Couverture de « Cette fois-ci la forêt était vierge »,
Antonin Artaud, Colette Thomas, Portrait 21 mai 1947.


Colette THOMAS
CETTE FOIS-CI
LA FORÊT ÉTAIT VIERGE

Editions Prairial, Paris, 2023.
Préface de Gaspard Maume.

"Ces vagues comme des ailes à l’envers du flot (…)
par-dessus tout ces vagues à l’envers du rivage"

(Colette Thomas).


L’œuvre et l’existence de celle qui se présentait à l’instar d’une « fille morte » s’inscrivent dans un incessant mouvement de retour - et contre retour - vers une sorte de texte ou de parole des origines.

Née en 1918 à Draguignan, Colette Gibert/Thomas décèdera à Fréjus, dans le sud de la France, en 2006. Dans l’espace-temps de ce « siècle » s’épanouit une enfant éveillée, une jeune femme lumineuse. Douée pour la pensée, les jeux de langage et le théâtre, elle fit à La Sorbonne des études de philosophie, fut initiée au théâtre par Louis Jouvet, épousa Henri Thomas (proche de Gide) et rencontra Antonin Artaud à l’Asile de Rodez en 1946.

S’ensuivront des échanges épistolaires entre la jeune femme et Artaud. Ainsi que la constitution de liens plus étroits à partir du retour du poète à Paris en mai 1946. Une sensibilité poétique particulière et partagée, une troublante similarité dans leurs rencontres de la folie et des traitements psychiatriques (qu’ils ont tous deux subis) les amènent à se ressentir comme deux âmes sœurs. Tous les deux sont des vivants-revenants, attelés dans l’écriture et confrontés aux Souvenirs (fuyants) de la maison des morts

Lors de la Soirée ARTAUD au Théâtre Sarah Bernhardt, en juin 1946, Colette Thomas - en transe - lit un texte du poète. La salle est subjuguée et Denise Colomb se souviendra longtemps de « cette petite jeune fille, avec sa p’tite jupe écossaise, son chandail blanc », son visage d’Ange.

Dans la vie de Colette, deux événements traumatiques ont vraisemblablement ponctué le premier semestre 1941 : une fausse couche (ou un avortement) et la disparition brutale de son père. Durant l’été, elle présente des crises d’angoisse. La jeune femme entreprend une retraite chez les Bénédictines. Exaltations et visions se concluront par un internement au Bon Sauveur de Caen où elle subira un traitement au cardiazol (traitement de choc caractérisé par l’angoisse extrême qui s’emparait des patients : le médecin d’Artaud, Gaston Ferdière jugeait ce traitement particulièrement éprouvant… et pour le patient… et pour le médecin…).

Lorsqu’Artaud meurt, le 4 mars 1948, Colette Thomas est déjà internée, à la Clinique du Vésinet, où elle subira des électrochocs. On sait aujourd’hui qu’Artaud avait écrit à Henri Thomas, pour lui demander d’épargner à sa femme les affres de ce traitement qu’il avait lui-même connu. Rien n’y fit. La jeune femme continuera à subir - deux ans durant et dans d’autres institutions médicales - les traitements psychiatriques en usage (insuline, cardiazol, etc.).

"... au matin, entraient deux ou trois femmes, et Celui qui, armé d'une seringue, prétendait réintroduire ou chasser (il ne savait trop) l'âme de mon corps. On exhumait alors d'un des sacs un des bras et il enfonçait au creux du coude, dans l'artère directement, sa seringue. On appelle ça provoquer un coma".(...) quand on l'exécutait je souffrais mille morts car le coma naturel est une extinction normale de l'être, mais là j'assistais à son meurtre et je le subissais dans une impuissance absolue." Le traitement se répète et répète… "Tout cela, précise Gaspard Maume (dans sa Préface) est "présenté à la famille avec un inimitable détachement : "Elle supporte bien le traitement à l'insuline et fait régulièrement son coma, tous les jours"."

En 1950, elle retrouve la vie parisienne. Des pans entiers de sa mémoire lui manquent ; il lui faut renouer avec des amis qu’au départ elle ne reconnaît pas toujours. Elle rassemble ses écrits et ses papiers. Et s’attelle à la finition et publication du « Testament de la fille morte ». Le livre paraîtra chez Gallimard en 1954. Et reparaît, en 2021, aux Editions Prairial.

Photo : Colette Gibert en 1939 (Archives Gibert).


Les textes, rassemblés aujourd’hui par les même Editions, sous le beau titre de Cette fois-ci la forêt était vierge, sont des textes et des aphorismes, des poèmes et des fragments, contemporains pour une part de l’ouvrage précédent, mais qui demeurent bruts. Présentés tels qu’ils furent écrits, tracés sur le papier, raturés souvent ou corrigés.

On sera ainsi sensible à cette gestation et ce mouvement de la langue qui parcourt les pages. Celles-ci sont denses. Aiguisées. Précises. Il y a, chez Colette Thomas, un sens aigu de la perfection et de l’épure. Une recherche du mot (ou de l’expression) juste. ADÉQUATE. Mais l'écriture aussi dérive et se transforme en onomatopées et jeux sonores de la langue.

Des adages. Des poèmes. Des contes. Des récits. Le tout apparaît bien comme un ovni. Comme une pensée et une expression qui vient trouer tous les brouillards existentiels.

Cette écriture surgit alors (comme l'être et le personnage même de Colette Thomas) du fin fond d’un territoire apparenté à ce que l’on nomme des limbes (lieu où séjournent les enfants nés sans baptême, sorte de poche à la dimension indistincte et floue). L’écriture y est renversée. Comme le sont les vagues de la mer, et le souvenir qui disparaît, s’effiloche. Pour ne plus laisser qu’une absence même de trace.

"Oubli sans recherche_recherche d'oubli ! Pastilles froides à la menthe contre la dent sous le palais_ Une étoile était filante_le temps était arrêté_)"

Il n’y a là aucun trop plein. Une absence absolue de fioriture. L’Absolu.

Le silence. Le vide. Une forme d’expression nouée, resserrée, close. FERMÉE. REFERMÉE.

La « fille morte » vit cela comme une libération. Un allègement fondamental. La mémoire est un poids (ce que Borges savait bien : mais cela c’est nous qui l’ajoutons). Oublier est salvateur. Le corps, les oiseaux, les éléments, les mots eux-mêmes ne sont plus que des épures, des sortes de galets légers qui roulent en dansant les uns au-delà des autres.

La relation même qu’elle entretient avec l’aimé, l’ami mort (Antonin Artaud dont elle fréquente alors assidûment la tombe, à Ivry) est de l’ordre de l’accomplissement et de l’allègement. Ils se survivent l’un en l’autre. Mais de manière impondérable. Légère. Cet amour est plus que platonique, « platanique », dit-elle, et en apesanteur. Comme ces feuilles de platanes qui courent dans le vent d’automne.

« O mon ami, mon aimé, mon oubli_ oui toi qui n’est qu’une absence _ que moi ! »

Vivre devient alors une ascèse, un retour aux gestes quasi-monastiques de l’enfance : « J’apprends à me passer de tout et à vivre comme si je ne me passais de rien ».

Bibliographie:
* Le testament de la Fille morte, Postface de Pacôme Thiellement, Editions Prairial, 2021. * Michel Camus, "Colette Thomas ou la fin du narcissisme, in OBLIQUES, n° 14-15, 1er janvier 1977, La Femme surréaliste. * Jacques Prevel, En compagnie d'Antonin Artaud, Paris, Flammarion, 2015. * « Littérature et Psychiatrie », in Florence de Mèredieu, Sur l’électrochoc, le Cas Antonin Artaud (Blusson, 1996). On y trouvera des informations sur les traitements (insuline, cardiazol, électrochoc), ainsi que le récit de certains patients décrivant leurs réactions aux traitements qui corroborent ce qu’en écrivent et Colette Thomas et Antonin Artaud, ainsi qu'une analyse des "Cahiers de Rodez" d'Antonin Artaud publiés dans le sillage de l'administration des électrochocs (répétition et succession des comas).

Podcast "À la recherche de Colette Thomas" sur France Culture (avec Pacôme Thiellement).

Extrait d’une lettre d’Antonin Artaud
à Colette Thomas (4 mai 1946) :
« La parole peut miner la vie. - Je sais que vous parlerez mes textes avec la semence de votre cœur. »
A vous de tout cœur
. Antonin Artaud.


jeudi 26 octobre 2023

PARIS+ART BASEL 2023. Un jardin de sculptures…

Zanele Muholi, The Politics of Black, 2023,
Jardin des Tuileries. Photo ©FDM, 2023.


PARIS+ART BASEL 2023
PARIS, GRAND PALAIS ÉPHÉMĖRE
Du 19 au 22 octobre 2023.
« Une cinquième saison » au Jardin des Tuileries.

La deuxième édition de Paris+Art Basel vient de fermer ses portes. Durant quelques jours, elle fut comme une bulle, un de ces univers parallèles qui entrent en dissonance et en résonance (parfois) avec une actualité internationale aux accents tragiques.

Paris, en cette rentrée 2023, est extraordinairement gâté en expositions de qualité. 1001 dessins de Picasso au Centre Pompidou, une flamboyante exposition Rothko à la Fondation Vuitton, le dernier van Gogh au Musée d’Orsay,les Trésors du Musée de Capodimonte (Naples) au Louvre, une myriade de Galeries et de lieux investis par l’art.

Cosmopolite et résolument international, le monde de l’art se presse donc, cet automne, dans les Foires et les lieux multiples qui foisonnent en plein cœur et à la périphérie de Paris. Depuis des années, les Tuileries sont devenus, à proximité du Louvre, un foisonnant jardin de sculptures. La FIAC avait déjà investi les lieux. En 2017, j’avais reproduit, dans la réédition de mon ouvrage, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (Larousse) une sculpture, transparente et ajourée, faite de ressorts métalliques d’Eric Baudart (Cubikron, 2016) au travers de laquelle se lisait le paysage de l’Allée centrale du Jardin des Tuileries. On mesure ainsi le chemin parcouru et par l’art et par la redécouverte en France de l’art des jardins.

Ordonnée, cette année, autour d’un projet de la curatrice Annabelle Ténèze, « La cinquième saison » (synthèse, entrelacs et tissage des œuvres de 26 artistes de tous pays) rejoint cette aventure paysagère, végétale, florale et minérale que représente le fameux jardin conçu par André Le Nôtre, Grand jardinier de Louis XIV.

Ce jardin, d’extrême élégance et magistralement dessiné, a toujours synthétisé et mêlé art, artifice et nature. Les buissons et les arbustes y sont taillés comme des sculptures. Allées, bosquets, bassins, escaliers et terrasses s’y répartissent de manière architecturale et symétrique autour d’une allée centrale - que prolonge la grande perspective s’étendant du Louvre aux Champs-Élysées et au-delà.

Depuis plusieurs années, les bosquets ont été réhabilités et « végétalisés » sur leur pourtour ». Une légion d’arbustes - soigneusement taillés et en instance de parfait ordonnancement - sont en train d’être plantés, qui souligneront et accompagneront magnifiquement la double courbe de l’entrée du Jardin donnant sur la place de la Concorde.

Vojtech Kovarix, Arès, 2023. Jardin des Tuileries.
Photo ©FDM, 2023.


Tout est fait pour que s’exprime une mise en scène et théâtralisation du Jardin. Les sculptures ou installations de cette année - Paris+ Art Basel 2023 - sont plus que jamais PLANTÉES dans un sol d’où elles sortent et qui semble les enfanter. Comme ces énormes racines qui surgissent en plein cœur d’une pelouse entourée d’arbres (Henrique Oliveira, Desnatureza 5, 2022), et d’où il semble qu’elles pourraient provenir. Ou ces figures de Zanele Muholi (The Politics of Black, 2023) dont certaines se fondent dans le paysage ou sont littéralement plantées dans le sol, têtes et tronc émergeant seuls.

Ou encore, cet Arès (dieu de la guerre) de Vojtech Kovarix (2023), figure mythologique à la rotondité parfaite, sculpture de couleur sable qui se fond dans le sable d’où elle émerge - sable qui habille naturellement les allées des Tuileries, tout en fusionnant avec les coloris d’automne du paysage et constitue un écho aux nombreuses statues mythologiques qui peuplent l’espace des Tuileries.

Non loin de là, on trouvera l’arbre foudroyé en bronze de Giuseppe Penone (L’Arbre des voyelles, 1989), sculpture pérenne du Jardin qui entre ici en échos aux œuvres nouvellement nées (et éphémères dans leur présentation) de « La cinquième saison ". Les Jardiniers du Louvre et des Tuileries ont souhaité, cette année, associer les coloris de leurs massifs à ceux de certains tableaux de l’actuelle exposition sur le Musée Capodimonte de Naples - coloris d’huîtres, jaunes de certains dahlias en échos aux coings d’une Nature morte aux huîtres et aux coings de Giovanni Battista Recco (vers 1650), ainsi qu'aux contrastes lumineux des œuvres du Caravage ou de Ribera. Cette dernière entreprise fait écho à un travail complexe et similaire récemment mené par le personnel du Jardin des Plantes (de Paris), qui avaient réussi la gageure de transformer leurs massifs en des sortes de « peintures en devenir »,les coloris des plantes étant soigneusement choisis en fonction de thématiques, mais aussi en raison de leur évolution dans le temps.

Joël Andrianomearisoa,
Serenade, Serenade, Installation, 2023.
Jardin des Tuileries, Photo ©FDM 2023.


Les vagues, l’eau (Installation, de verre et de métal dans le bassin des exèdres de Joël Andrianomearisoa, Serenade, Serenade, 2023), les pigments (purs ou mêlés), les terres ocres et crues ou cuites, le bois, le bronze, la pierre et divers matériaux, nous les retrouvons Place de la Concorde (Urs Fischer, La Vague, 2018), mais aussi - à FORTE DOSE - dans les allées du Grand Palais éphémère, là où nous attendent l’art et la peinture dans leur quintessence et densité : les Picasso, Rothko, Soulages, Fontana, Tapiès, Dubuffet…, Tetsumi Kudo (et ses plantules déjantées), les sculptures à facettes d’Anthony Gormley, l’horloge « lunaire » et en mouvement de Niki de Saint-Phalle, Les « jambes de bois » monstrueuses de Baselitz si bien équarries, les « devinettes » de Barbara Kruger. — Tout cela nous aura, cette année encore, tant éblouis.

Cette Foire nous reviendra en 2024. Au Grand Palais, cette fois-ci qui fêtera sa réouverture. Et sous une forme qui suscite bien des rumeurs et toutes nos curiosités. - Longue Vie à Paris + Art Basel.

Programme de Paris+Art Basel 2023.

Henrique Oliveira, Desnatureza 5, 2022.
Jardin des Tuileries. Photo ©FDM, 2023.


jeudi 12 octobre 2023

Une Guerre Continuée : ARTAUD. Clausewitz.



Couverture d'Antonin Artaud dans la guerre,
"L'homme clous", dessin d'après Antonin Artaud.


DE LA GUERRE :
Artaud, Breton, Céline, Hitler et Clausewitz.


« Ce sont les fous au pouvoir qui ont maintenu l’actuelle anatomie humaine qui ne cesse de perdre jambes et bras au milieu de toutes les guerres que depuis toujours on lui fera» (Antonin Artaud, Suppôts et Suppliciations, 1946-48)

Le 21 mars 2022, je publiai - sur ce même blog - un papier intitulé « Guernica/Marioupol. Pour l’Ukraine ». — Papier constitué du texte consacré par Artaud au « Guernica » de Picasso, qui n’en finit pas d’illustrer des guerres et des massacres sans nom, et demeure de « constante actualité ».

Notre monde est entré depuis des décennies dans ce que l’on peut nommer (à la suite de Clausewitz) une « guerre continuée ». Les périodes de paix (limitées et partielles) ne servent plus qu’à préparer et précipiter de nouvelles guerres. Et de nouveaux massacres, le phénomène de « brutalisation » de la société que pointaient déjà les chercheurs dans l’entre-deux guerres de 1914-1918 et 1939-1945, étant plus que jamais de « perpétuelle actualité ".

Placé sous le signe du philosophe et stratège prussien, Carl von Clausewitz (1780-1831), aussi bien que de l’œuvre (en partie posthume) de Michel Foucault, cet ouvrage dit et redit un message que la forte voix de Paul Virilio (1932-2018) n’est plus là pour porter.
"L'homme-canon", dessin d'après Antonin Artaud.


Du nazisme et des deux grandes guerres mondiales (de 14-18 et de 39-45), " sommes-nous sortis ? L’accélération de le violence et de ses effets, la banalisation de l’horreur et de la terreur répercutées par des médias qui sont désormais en prise directe avec l’événement et qui y participent, la mondialisation qui rend chaque état solidaire et responsable plus que jamais de l’équilibre mondial : tout cela tend à la généralisation d’un état de guerre permanent. "  (FDM, Antonin Artaud, dans la guerre, p. 307.)

Restent le CRI. La révolte. Les deux bras dressés. La violence d’un NON. Pas de résignation.

Le dessin de Picasso, le texte d’Artaud, offerts aux victimes, aux souffrants.

« Vieille pétarade de boue, de sang, de sperme, de transpiration et de de salpêtre » (Antonin Artaud, Note sur la peinture surréaliste en général.


Guernica/Marioupol - Pour l'Ukraine

Picasso, Guernica (détail).


lundi 28 août 2023

L’ARGENT DANS L’ART.



L'ARGENT DANS L'ART
Exposition à La Monnaie de Paris,
jusqu’au 24 septembre 2023

Quelques semaines encore pour découvrir la savante et belle exposition de la Monnaie de Paris, consacrée aux avatars et aventures de la monnaie et de l’argent dans l’art.

Jean-Joseph Goux signe un des articles du catalogue. Une occasion pour relire ou pour découvrir les ouvrages fondateurs de ce philosophe-économiste. Une grande part de ses réflexions porte sur la nature et les avatars précisément de l’argent dans la culture (littérature, sociologie, arts plastiques, histoire des idées, etc).

Envisagée dans une perspective historique, qui remonte fort loin, aux origines mêmes de la monnaie et se poursuit jusque dans les formes d’art les plus contemporaines, l’exposition de la Monnaie de Paris est érudite et assez complète.

Il est dommage cependant qu’on n’y retrouve aucune référence à l’œuvre et au travail de van Gogh, chez lequel l’argent, la monnaie et la question du « commerce d’art » (son frère travaille chez Goupil, marchand d’art, et lui-même y officiera un temps) jouent un rôle que j’avais contribué à mettre en lumière lors d’un cycle de conférences au Musée d’Orsay en octobre 2010,

Cette conférence avait alors étonné et surpris. Car elle allait à contre-courant de l’image que l’on se faisait de van Gogh. Lecteur de Bossuet et situé à mi-chemin du protestantisme (la religion de son enfance) et le catholicisme qu’il découvre, van Gogh est en effet écartelé entre les deux religions.

Ce qu’il recherche, c’est une peinture tout à la fois pauvre, ascétique, (celle des Mangeurs de pommes de terre) mais aussi bien riche et dorée. Une peinture de « diamantaire », évoquant cette « céleste monnaie » dont nous entretient Bossuet. L’artiste est bien alors celui qui transmue la réalité en une œuvre solaire, nous offrant ses "Tournesols" et l’ensemble de ces couchers de soleil où le disque doré s’apparente à un « louis d’or »

Ce livre, (Van Gogh, l’argent, l’or, le cuivre, la couleur) a depuis fait son chemin, jusqu’à influencer certains travaux qui finiront (bien évidemment à tort) par voir en van Gogh l’équivalent (secret, caché et raté) d’un « capitaliste ». - Il serait urgent donc de « relire cet ouvrage ».
Lien vers la Monnaie de Paris