dimanche 12 avril 2009

Lettre ouverte à Josyane SAVIGNEAU (Le Monde).

Pour les très bons et attentifs lecteurs de L'AFFAIRE ARTAUD, un échantillon de la lettre au Monde de septembre 1994. Cet extrait concerne la transcription des manuscrits du tome XXVI des Œuvres complètes d'Antonin Artaud :

"Ne peut-on soumettre ces manuscrits à un traitement scientifique permettant d'isoler les différentes couches d'écriture ? Il existe aujourd'hui des méthodes de traitement des manuscrits plus modernes que le recours à la loupe et à la lumière rasante. Des laboratoires français d'analyse textuelle ont déjà montré leur savoir faire en ce domaine.

Ne pourrait-on en faire profiter les manuscrits d'Artaud ?

Chacun de ces points appellerait un débat. La reponctuation, par exemple, de ces textes nous apparaît à nous comme une atteinte grave. Aussi grave que celle qui consisterait à laver le texte de Céline de ses insistants et répétitifs points de suspension... Aurait-on, d'un côté avec Céline, un trop-plein de points de suspension et, de l'autre avec Artaud, une pénurie de virgules ?
Ponctuer le texte d'Artaud revient en l'occurrence à assagir, ralenti et domestiquer le cours d'une pensée et d'une plume qui apparaît sur le manuscrit autographe comme particulièrement rapide, cursive, ne s'embarrassant précisément d'aucun arrêt et d'aucune stase. Et, là encore, arguer de la précise ponctuation par Artaud de textes antérieurs et "achevés", ne peut constituer un argument. La reponctuation de ces textes les dénature profondément.

Reste à savoir si le même "parti pris d'édition" a été appliqué à l'ensemble des inédits et aux tomes antérieurs des Œuvres complètes en cours de publication chez Gallimard ? La note inaugurale du tome XV, à laquelle Paule Thévenin se réfère dans le tome XXVI, le laisserait supposer. En l'absence, toutefois, de toute référence possible aux manuscrits d'Artaud, la question reste ouverte...

À toutes nos objections on rétorquera la passion, l'amitié, le dévouement, un long dévouement. Ceux-ci ne sont pas en cause. Mais ce ne sont, en aucun cas, des critères permettant de justifier du mode de transcription des manuscrits d'un auteur, le droit de l'auteur demeurant inaliénable.
Parmi les divers arguments qui ont pullulé ces dernières années, l'un d'eux m'est toujours apparu comme des plus étranges : celui qui consiste à soutenir que "seule Paule Thévenin" pouvait déchiffrer et transcrire les manuscrits d'Artaud. En plein XXe siècle, quel étrange critère, si peu scientifique, si troublant. Qu'est-ce qu'un texte qu'une seule personne pourrait déchiffrer ? Se l'est-on demandé ?

De quoi parle-t-on aujourd'hui ? A quoi s'intéresse-t-on ? À l'œuvre d'Artaud ? Ou à l'"œuvre" de Paule Thévenin ? Un transcripteur n'a pas pour vocation de rester anonyme, mais il a assurément pour vocation d'être transparent. Est-ce ici le cas ? Et que cherche-t-on à dissimuler derrière ce tonitruant anonymat ?
"Artaud réincarné" titrait l'an passé, le Magazine littéraire, en tête d'un article dont on pouvait se demander jusqu'à quel point il prenait cette affirmation au pied de la lettre ! - Les intellectuels ont parfois de ces dérives..."
(L'Affaire Artaud, Journal ethnographique, Fayard, mars 2009, pp. 10-12 du document)

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