samedi 27 novembre 2010

L’AFFAIRE ARTAUD, “PASSIONNANTE ET TERRIFIANTE”.

Je relaie aujourd’hui sur mon blog cet avis d’un lecteur qui — finalement — aura lu le gros pavé paru chez Fayard en mars 2009, ce gros pavé sur L’Affaire Artaud qui continue à brûler les doigts de beaucoup de ceux qui en ont eu connaissance.

Mercredi 04 Août 2010, 09:05.

Je termine en ce moment même L'affaire Artaud, Journal ethnographique, de Florence de Mèredieu (Fayard). Je ne connaissais d'Artaud que quelques textes de la période surréaliste et en avais l'image du poète fou. J'avais acheté ce pavé (600 et quelques pages) il y a longtemps et, l'été arrivé, je me lance, en ne sachant pas trop sur quoi j'allais tomber. Ce que raconte F. de Mèredieu est tout bonnement incroyable : prof de philo - esthétique - à Paris I, elle étudie notamment Artaud dans ses cours et dans les années 80, projette de publier un livre sur les dessins d'Artaud. Elle met ainsi le pied dans "l'affaire Artaud", qui a éclaté le jour de la mort de l'auteur, puisque ses amis vident sa chambre de tous les manuscrits. L'histoire de la publication des œuvres posthumes d'Artaud chez Gallimard est terrifiante : celle qui détient les manuscrits d'Artaud s'autorisant à recomposer les textes des années 1946-1948 (Artaud aura eu le temps de remplir plus de 500 cahiers d'écolier durant cette période, qui sont encore à plus de 95% inédits), en piochant d'un cahier à l'autre. C'est en tout cas une plongée dans la vie littéraire de la seconde moitié du XXe siècle à la fois passionnante et terrifiante. Sans doute que les aficionados d'Artaud connaissent l'histoire, mais personnellement, je suis tombé des nues. Pour ceux qu'Artaud intéresse, je vous conseille ce bouquin, parfois un peu redondant, mais comme le dit l'auteur, c'est parce que dans cette histoire, les choses se répètent inlassablement.

Auteur : Marcelin Hogler

Lien vers l'article sur Parfum de livres…parfum d’ailleurs.

Deux précisions :

- Ce qui est encore à 95% inédit, ce sont bien les Cahiers eux-mêmes (406 répertoriés à ce jour), textes et dessins confondus, qu’on souhaiterait avoir un jour en intégral fac-similé.

- L’Affaire Artaud (Fayard, 2009) a récemment fait son apparition dans le catalogue des Bibliothèques de la Ville de Paris : 1 exemplaire, disponible à la réserve centrale. Avec cette mention : “Public motivé”. Il est certain que le “passionnant et terrifiant” de l’Affaire a de quoi faire fuir le lecteur… “Qui, en ce monde, aurait dit Nietzsche, recherche la vérité ?” — Rassurons-nous : personne !
Au cas, toutefois, où la vérité ne vous fait pas peur, vous pouvez désormais emprunter gracieusement ce livre en le demandant auprès de la “Réserve centrale des Bibliothèques de la Ville de Paris”.

Merci en tout cas à Marcelin Hogler pour sa réconfortante lecture.

mardi 16 novembre 2010

VAN GOGH ET LA "PHRYNÉ" DE GÉRÔME.


"C.M. [Cornélius-Marinus, oncle de Vincent Van Gogh] m'a demandé aujourd'hui si je ne trouvais pas belle la Phryné de Gérôme. J'ai dit que j'avais infiniment plus de plaisir à regarder une femme laide d'Israels ou de Millet ou une vieille femme de Ed Frère. Car qu'est-ce que cela signifie, en somme, un beau corps comme celui de la Phryné ? (...)
Je ne ressens, quant à moi, qu'extrêmement peu de sympathie pour cette figure de Gérôme, car je n'y vois pas le moindre signe révélateur d'intelligence. Des mains qui portent la marque du travail sont plus belles que des mains pareilles à celles de cette figure."
(Lettre à Théo, 9 janvier 1978)

Van Gogh et Gérôme œuvrent à la même époque. L'insuccès de l'un et la réussite de l'autre se sont au fil du temps inversés. Gérôme sombre dans l'oubli. Van Gogh monte au firmament.

Relire aujourd'hui ce que Van Gogh écrivait de Gérôme permet de mesurer d'un trait l'immensité de ce qui les sépare. En janvier 1874, Vincent cite Gérôme parmi les peintres qu'il apprécie. Quatre ans plus tard, son goût a évolué ; il se démarque désormais des jugements esthétiques familiaux.

Il exalte maintenant le "laid", le "pauvre", le "vieux". Toutes ces valeurs décriées par toute bonne société. Et la nôtre est sur ce point bien située dans le peloton de tête de l'exaltation du beau, du riche, de l'éternellement jeune. Ces valeurs-là ne suscitent en Vincent aucune "sympathie". Au sens étymologique et fort que ce terme revêt.

L'empathie, la "sympathie" de Van Gogh s'adressent à des valeurs décriées. Ses goûts picturaux vont au laid, au ridé, au noueux, à une certaine vision de l'humain. Van Gogh s'accorderait en cela avec Picasso - songeons à la "hideur" de La Femme qui pleure - et Lucian Freud que l'on fustige si souvent au titre de peintre d'une certaine "chair", triste, flasque et si prodigieusement nervurée.

Lucian Freud et la chair
Exposition Gérôme au Musée d'Orsay

lundi 15 novembre 2010

"LA CHAMBRE DES CRIS". WORK IN PROGRESS. AVEC ALEXANDRA DEMENTIEVA.


"Pour dépeindre le cri que j'ai rêvé, pour le dépeindre avec les paroles vives, avec les mots appropriés, et pour bouche à bouche et souffle à souffle, le faire passer non dans l'oreille, mais dans la poitrine du spectateur." (Antonin Artaud, Le Théâtre de Séraphin)

Au début de l'année 2009, Alexandra Dementieva (artiste multimédia réalisatrice d'installations interactives) me fait part d'un souhait. Travailler ensemble à une installation interactive qui serait basée sur Antonin Artaud.

Ma première réaction fut négative et très viscérale. L'œuvre d'Artaud se base sur une fondamentale méfiance vis-à-vis des techniques, des instruments et de tout ce qui lui apparaît comme des "organes" ou des intermédiaires. Je connais par ailleurs les critiques qu'il adresse au cinéma et à l'ensemble du monde "virtuel" des images. Artaud travaille dans la chair. Et dans l'os. In vivo.

Après mûres réflexions, il me semble toutefois qu'il y a là un challenge à relever. Et une confrontation diablement intéressante à tenter entre le Mômo et les nouvelles technologies.

D'où un démarrage au quart de tours et l'élaboration de trois scénarios, qui se sont bientôt complétés d'un quatrième projet. Quatre projets d'installations que j'ai donc présentés à Alexandra.

Nous en avons longuement discuté et les avons ajusté au cours d'un travail commun. La question technique s'est bien évidemment de suite révélée redoutable. Car l'on ne peut pas faire n'importe quoi dans le cadre et l'atmosphère de l'œuvre du Mômo. Il faut bien sûr éviter tout ce qui (de près ou de loin) peut ressembler à une "ficelle" ou un processus d'illusion.

Soyons clairs : il ne s'agit pas d'interpréter ou d'adapter un fragment de l'œuvre d'Artaud. Pas une ligne, pas un texte, pas un dessin, aucune photographie ou fragment sonore d'Artaud ne seront empruntés. Celui-ci sera utilisé à la façon d'une fondamentale référence. Et comme un climat. Une "atmosphère".

Depuis nous travaillons à la co-réalisation de cet ensemble qui pourrait aboutir (les quatre installations étant alors regroupées) à une forme de spectacle théâtral en quatre actes.

Nous avons commencé la mise en œuvre du premier projet : LA CHAMBRE DES CRIS. En voici un bref descriptif.

"Ce projet s'inscrit dans le sillage et le prolongement de l'œuvre d'Antonin Artaud. Et, plus précisément de ce "théâtre de la cruauté" qui vise à recréer et refondre l'homme et son anatomie.

L'œuvre d'Artaud est une machinerie complexe : musicale, gestuelle, textuelle et imagée. Le corps y déploie l'arsenal entier de ses souffles, cris, paroles, mouvements et onomatopées.

À la "virtualité" des images Artaud préférait le corps de chair et d'os de l'acteur vivant. C'est, en conséquence, à une autre dimension des "machines" et des nouvelles technologies que nous faisons ici appel. À cette dimension de participation et de lien (physique, concret) qui jouent à plein dans le théâtre d'Artaud. À une forme d'interactivité et de participation basée sur la mise en jeu du corps du spectateur. Corps concret, physique, et qui ne demande qu'à crier, souffler, hululer.

Nous voulons inviter le public à crier, hurler, être et exister. En esquissant et réinventant les signes et les souffles du corps. Des interfaces relieront le public au monde des sons, des cris, des lumières. - Ce seront alors d'autres cris, d'autres lumières, d'autres sons et d'étranges cris qui surgiront.

Nous inspirant d'Artaud, de ses théories sur le souffle, le cri, la lumière et l'utilisation sonore de l'espace, nous proposerons une déambulation sonore, rituelle et lumineuse. Chambres cruelles. Stations où l'oralité du "théâtre de la cruauté" se manifestera de manière exacerbée."

BRUXELLES, 2010.

Photographie ©FDM.

dimanche 14 novembre 2010

DOUG ET MIKE STARN. FORÊT DE BAMBOUS SUR LE TOIT DU "MET".

Photographie ©FDM.

Durant tout l'été, les visiteurs du MET (le Metropolitan Museum de New York) ont pu déambuler dans la forêt de bambous (5000 cannes), installée sur le toit du bâtiment (le "roof garden"). Suivant le guide, certains auront grimpé jusque dans les structures installées en hauteur.

Les tuyaux et tubulures de bambou circonscrivaient une infinité de grilles, cadres et perspectives sur l'espace environnant. De quoi renouveler de manière saisissante "l'imprenable vue" sur New York et la verdure de Central Park.

Au coucher du soleil, l'endroit prenait des allures de rendez-vous mondain, les visiteurs se pressant pour siroter un coktail en regardant le soleil illuminer progressivement les façades de verre.

Cette installation a réveillé en moi les ardeurs du photographe. Et j'ai cliché, cliché à merci, et sous tous les angles. Au travers de toutes les tubulures. Multipliant les "vues", les "cadres", les "aperçus".

Video sur youtube

jeudi 11 novembre 2010

BARBARA KRUGER IN SITU. NEW YORK, 2010.

Photographie ©FDM.

Non loin de la "High line", ce chemin suspendu qui navigue entre les gratte-ciels, avec des aperçus sur l'Hudson, entre la 13e et la 14e rue ouest, Barbara Kruger a déployé ses lettres et ses slogans à même le sol, les murs et les aspérités du terrain.

ART. SEXE. MONEY. Tracées à la peinture blanche ou noire, de gigantesques CAPITALES jouent étrangement avec l'espace urbain environnant.

L'envahissante utilisation publicitaire de la LETTRE dans le contexte new-yorkais, son gigantisme, sa déclinaison sous forme de slogans et d'aphorismes, tout cela pourrait faire de l'art de Barbara Kruger un art caméléon, apte comme tel à se fondre dans le milieu ambiant et à n'apparaître que comme la déclinaison d'un style préexistant à l'intervention de l'artiste.

L'étonnant est que la force de frappe des slogans de l'artiste, leur puissance esthétique, soient si prégnants.

L'environnement devient un "Barbara Kruger". C'est elle qui s'assimile un contexte urbain en lui-même hyperprégnant. Les éléments du paysage - masses des containers ou bâtiments de chantier, lignes blanches, noires, colorées et massives, des voitures ou camionnettes garées là sur le parking - tout cela se fond et se coule dans la masse de l'œuvre.

Du monde publicitaire et des médias, elle ne conserve que l'épure de la LETTRE. La pureté et la force de sa géométrie. Son caractère anguleux et si puissamment tracé. Affirmé. Inscrit. Martelé à l'instar d'un poinçon. Ce que nous avons-là, c'est "du Barbara Kruger".

POWER ART IN THE BIG CITY.

dimanche 7 novembre 2010

RESIDENCE AU 3e IMPERIAL. Septembre 2010.

L'Imperial Tobacco, ancienne manufacture de tabac.
Photographie ©FDM.

Depuis 25 ans, le Centre d'artistes autogéré du 3e Imperial, accueille à Granby (Québec) des artistes en résidence.

Petite ville située en milieu rural, à une petite centaine de kilomètres de Montréal, Granby aura été propice aux travaux et expérimentations d'un "art infiltrant" qui se coule dans les interstices du paysage urbain, de la nature et du tissu social.

Un texte verra bientôt le jour sur l'expérience qui a été la mienne au cœur du 3e Impérial, lors d'une résidence qui s'est déroulé à Granby en cet automne 2010. J'y évoquerai alors les travaux des artistes qui se sont succédés dans les locaux (si inspirants) de cette ancienne manufacture de tabac.

Qu'ils sachent tous ici :
- ceux que j'ai rencontrés (Thomas Grondin, Caroline Boileau et Stéphane Gilot, Douglas Scholes et Patrick Beaulieu, Yves Gendreau et Danyèle Alain, Martin Dufrasne, Lamathilde...)
- et ceux dont j'ai pu apprécier les œuvres in situ (Ani Deschênes) ou par la consultation des archives, des vidéos et des lieux qu'ils ont un jour (en un temps donné) investis (Sylvie Cotton, Christian Barré, Karen Elaine Spencer, Émilie Rondeau, Doyon/Demers, Ève Cadieux, Alain Fleurent, Guy Blackburn, etc. : je ne peux tous ici les citer), que leurs œuvres m'ont un temps habitée et qu'elles réapparaîtront, entrelacées et cousues dans la trame d'un texte à venir.

Merci à eux.

3e Imperial

DANYÈLE ALAIN. EAU, AIR, TERRE, FEU. COMPOST ET FERMENTS LACTIQUES.

L'ESPRIT DES ARBRES.
Site agraire. Roches, branches, feu, immortelles, neige.
Diamètre de huit mètres sur une hauteur d'un mètre et demi. 1997.
Photographie ©Yves Gendreau.

Chaque artiste travaille avec des matériaux qu'il s'approprie et avec lesquels il se sent en affinité. J'évoquerai aujourdhui le parcours qui fut celui de Danyèle Alain. Parcours nourri de ces quatre éléments qui constituent le fonds de toutes nos mythologies. Que celles-ci soient archaïques et naturelles ou plus contemporaines.

Ses œuvres sont tissées de cette réalité mi-urbaine, mi-rurale, qui caractérise la région de Granby (Québec). D'où l'emploi du terme "RURBAIN" (propre au 3e Imperial) pour désigner cet enchevêtrement si particulier d'espaces naturels (ou "en friches") et de paysages urbains.

Durant de longues années, Danyèle Alain aura œuvré avec les matériaux de la paysannerie : compost, fumier, lait, bois, etc. En 2001, non loin de la ville de La Pocatière et avec le concours des ouvriers agricoles d'une ferme, elle dresse en plein champ, une impressionnante "sculpture" de compost (Sculpture de chemin).

La Route du sel l'avait précédemment amenée à construire de toute pièce le cratère d'un volcan, dont les mèches et les escarbilles brûlèrent de tous leurs feux jusque dans la nuit.

En 1988 et 1994, elle participe à l'une des aventures communes au 3e Imperial (L'Art et l'eau), bâtissant sur le lac Boivin des sortes de huttes qui s'éclairent la nuit.

En 2000, elle s'empare de ferments lactiques qu'elles transmet de proche en proche, par le truchement d'un cérémonial qui se déroule dans une roulotte. Elle y accueille le visiteur, dans une atmosphère conviviale et "bon enfant" de "laboratoire" de campagne.

Du lait (et des images) sont puissamment brassés sur une vidéo. Soigneusement alignés sur une étagère de la roulotte, de petits pots de verre aseptisés attendent de recueillir et véhiculer la précieuse bactérie, la "filia". Danyèle Alain intègre ainsi à son travail une double dimension RURALE (on reste proche des travaux et des matières de l'agriculture ou de l'élevage) et SOCIALE, son vœu étant de s'inscrire au cœur de protocoles sociaux réels.

L'art infiltre le réel. Et se trouve, à son tour, infiltré par ce même réel.

3e Imperial - Danyèle Alain

samedi 6 novembre 2010

DOUGLAS SCHOLES : RIVER TV (1999).

Photographie ©Douglas Scholes.

J'ai toujours aimé les métaphores et les processus de mise en abîme. Le débit de l'image télévisuelle a souvent été comparé à celui d'un fleuve. Les plans se succèdent en cascades et reviennent à peu près similaires.

Douglas Scholes prend la métaphore au pied de la lettre. Un personnage, assis et les pieds dans l'eau, regarde ce qui défile sur un téléviseur : de l'eau qui coule, bien sûr.

En arrière-plan se déploient la poésie d'un paysage, les grands espaces de l'Alberta.

3e Imperial - Douglas Scholes