mardi 5 juillet 2011

CENT CINQUANTE MILLIONS DE BLOGS.

©FDM

« A peine quelques soupirs de la nature et l'étoile se congela, les animaux intelligents durent mourir. » (Nietzsche, Le Livre du philosophe)

Les statistiques nous disent qu'il y aurait, sur le pourtour de la planète, bien plus d'une centaine de millions de blogs.

Faut-il pour autant en conclure que ces expressions sont nulles, qu'elles ne correspondent à RIEN ? La mer, semblablement, est faite de millions, de trillions, de vaguelettes et de perles d'écume. Ce sont ces infimes pliures, ces micro-événements qui constituent le tissu de l'océan. Celui-ci ne serait RIEN sans les mouvements répétés de cet infiniment petit, sans ces flux, reflux et divers courants qui agitent la planète.

Chaque blog (ou mini-blog) contribue ainsi à la masse et au flux des discours, des regards, des opinions et aussi des souffles, des tentatives (sans doute dérisoires) de tout un chacun pour se faire entendre ou pour simplement exister (comme le disait Nietzsche) quelques secondes au firmament.

Un collègue étranger a naguère adressé sur une liste de diffusion un mail pour signaler cet état de chose et le fait qu'assurément, sur son blog, il se sentait bien seul, plus seul encore qu'au travers des traditionnels moyens de communication (comme le livre).

Puis-je le rassurer en lui disant que cela même qu'il déplore, à savoir un certain silence et une certaine solitude, c'est cela même qui fait - au fond - le charme et la raison d'être des blogs.

De ces pages et ces images, jetées là dans le courant continu de la Toile, on attend certes qu'elles se répercutent un minimum, qu'elles rencontrent quelque écho ou simplement quelque obstacle ou rebondir. On attend quelques ricochets, quelques ondes et vaguelettes.

Un blog effectivement n'a rien d'un journal intime. Il s'agit d'une expression ouverte, tournée vers le monde. Sans que l'on sache bien sûr qui passe sur ces pages que l'on alimente. Il y a le charme de l'anonymat - je ne sais qui passe et puis disparaît -, le fait aussi de savoir que les lecteurs sont (ou pourraient être) multiples, qu'il se situent de manière hasardeuse (en suivant les aléas des grilles, des codes et des mots-clés) sur le pourtour entier de la planète : en Chine et au Japon, en Roumanie et au Canada, en Tunisie et en Iran, et dans beaucoup de lieux où l'on n'ira jamais.

Pour le reste, un blog est un simple tracé sinueux, une parole qui suit son chemin au gré des vents.

Il ne s'agit jamais que d'un peu d'écume... La vraie vie est ailleurs. Dans les nuages qui - eux-mêmes - passent et disparaissent…

dimanche 3 juillet 2011

Louis MARIN : Jean-Charles BLAIS. Dessin. Trait. Apparition. Disparition.


"… les fragiles grâces de dessins égyptiens ou chinois - la figure-du-corps, en instance de disparition est elle-même devenue son virtuel figuratif, sa potentialité visuelle, son "figurable". (Louis Marin, Jean-Charles Blais. Du figurable en peinture)

On ne saurait trop insister sur la beauté, la grâce des œuvres de Jean-Charles-Blais, tout particulièrement ses peintures et dessins sur affiches arrachées des années 1980-1990. Le texte en a-pesanteur que Louis Marin leur a naguère consacré en exauce - pas à pas - l'intense poésie. Ce que d'autres nommeraient leur "inquiétante singularité".

L'œil de Louis Marin est nourri de la grande peinture classique, des œuvres de Champaigne, Rembrandt, Poussin, Le Caravage. Ses curiosités l'ont conduit à interroger cet univers de signes que les artistes tracent sur des supports qui peuvent être divers - toiles, papiers, murs.

Lorsqu'il se penche sur l'art moderne et contemporain, notre sémiologue et sémioticien n'oublie jamais que son amour de la langue l'amène aux confins de la poésie.

Son approche érudite repère les dispositifs, schémas, grilles et oculi omniprésents dans l'œuvre de Jean-Charles Blais. Ses personnages sans tête y ont encore une tête, - disparue, ensevelie, désignée. Le dessin fait ainsi la double part du visible et de l'invisible, de l'apparent et de de ce qui se lit ou se devine en dehors et en-deçà des figures.

Le dessin est bien là, trait ou simple contour, sur ou sous le bleu de la peinture, en filigrane ou en ostentation. Mais partout il s'absente, se heurte aux déchirures de la représentation.

Il faut lire et relire les aventures et avatars de ces disparitions et suivre - en les dénouant - les savants entrelacs de cet infigurable auquel se heurte toute représentation.

À lire, à voir.

Louis Marin, Wikipédia.

vendredi 1 juillet 2011

KONRAD WITZ : PEINTURE ET PROFONDEUR DE CHAMP.

A Bâle s’achève l’exposition Konrad Witz. Installé à Bâle dans la première moitié du XVe siècle, fortement marqué par le style des peintres flamands de la même époque, le peintre suisse développe une œuvre étonnante. Et d’une hallucinante modernité. La maestria avec laquelle il s’empare des paysages, du reflet des éléments et du chatoiement des matières n’a pour égal que cette science inégalée de la profondeur de champ dont son œuvre offre maints exemples.

Cette profondeur de champ m’a irrésistiblement ramenée à cet autre maître de la profondeur de champ, cinématographique cette fois, que constitue Orson Welles (cf. Citizen Kane, 1941).

Voir le monde, non plus de manière plate - à la façon d’un ruban qui défilerait latéralement sous nos yeux -, mais comme une chair entaillée, une image indéfiniment ouverte et qui recèle ce que l’on nomme une « épaisseur » : tel est bien le « point de vue » de Konrad Witz.

La perspective, cette construction tout à la fois empirique et mathématique, mentale et assujettie à des instruments de mesure, est à l’époque balbutiante et en voie de constitution. Le terme qui convient ici est donc bien celui de « profondeur de champ », et la réalité picturale celle d’une vision portée au-delà d’elle–même, d’une vision qui se prolonge, se chevauche, s’ajoute à elle-même et se redouble.

Amorce d’une vision « sans fin ». A l’image de la Colonne sans fin de Brancusi. D’une colonne qui aurait basculé, et viserait non plus le ciel mais la ligne d’horizon. Je m’égare, me direz-vous, je m’égare. - Mais, j’adore m’égarer…

L’image médiévale est désormais « entaillée ». Ouverte. Elle n’est plus seulement entrebâillée comme dans le système de la vedute.

Un double mouvement inverse porte la modernité, l’incroyable « nouvelle objectivité » (j’emploie ici cette incongruité « historique » à dessein) de l’image picturale. L’œil acéré du peintre vient crever le miroir des apparences. Le réel - en retour – s’ordonne et s’organise suivant un axe et une ligne de fuite.

La peinture est devenue un monde à arpenter. Un univers où, moi, voyeur (« regardeur » à la Duchamp) ou simple marcheur, je puis naviguer et pénétrer.

Konrad Witz, Musée de Bâle.