samedi 5 novembre 2011

BOB WILSON, LOU REED : UNE LULU ÉLECTRIQUE.

"Lulu", Théâtre de la Ville, 2011.

Nietzsche plaçait l'œuvre d'art et la tragédie sous le patronage de deux figures mythiques : Apollon, symbole de la belle apparence, de l'harmonie, de la beauté pelliculaire et du monde des images ; Dionysos, qui représente la démesure, l'ivresse, la part chaotique et cruelle d'une vie en permanence exacerbée. De l'union des deux naît la tragédie antique, Dionysos nourrissant de sa puissance la perfection de la belle apparence.

Depuis ses origines - et son fabuleux Regard du Sourd (1971) - le Grand Œuvre de Robert Wilson n'a cessé d'incarner le versant apollinien de la tragédie grecque, nourrissant le spectateur de visions hallucinées mais glaciales.

L'univers wilsonien demeurait cependant, au départ, très proche de l'image surréaliste et de l'inconscient freudien. La dimension artisanale de son théâtre renforçait alors cet aspect.

Au fil des ans et des spectacles, Bob Wilson n'a cessé de renforcer la perfection d'une mécanique théâtrale aujourd'hui totalement cadrée, mise en boîte, millimétrée et finalement très "design". Compartimentée. Minutée. Et que l'on croirait tout droit sortie d'un ordinateur et du monde des images de synthèse.

Ce monde-là atteignit sa perfection dans L'Opéra de quat'sous, monté en 2009 au Théâtre de la Ville. Les chants et la modulation métallique de la langue allemande apportait un contrepoint parfait à la rigueur de la mise en scène. Le Berliner Ensemble se jouait alors magnifiquement de l'expressionnisme, en portant celui-ci à l'un de ses sommets.

La LULU aujourd'hui proposée nous interroge. - Ce monde parfait, et devenu on ne peut plus parfait, cadré, contrôlé, de la mécanique wilsonienne, on souhaiterait le voir perturbé, entamé. Brutalement et de fond en comble.

Cela aurait pu être ici le rôle de la musique. - Le rock très électrique de Lou Reed perturbe la belle image. Mais l'effet n'est pas celui que l'on en attendrait. La musique explosive, sèche, percutante - et très réussie - du mythique rocker vient comme assommer l'image et la tuer. La perfection, l'hygiénisme géométrique cèdent sous les coups répétés - et furieux - des basses et des accents de la guitare électrique.

Ces explosions sonores représentent ici cette part dionysiaque dont parlait Nietzsche. La vie, le chaos, le mouvement et la cruauté passent de ce côté.

On aurait souhaité voir naître un équilibre, une tension, un chaos soudain organisé entre ces deux mondes - de Lou Reed et de Bob Wilson. Mais l'un comme l'autre se développent en parallèle et semblent ici s'ignorer.

Le jeu même du Berliner se laisse distancer par la puissance et le phrasé musical de Lou Reed.

UN NÔ TRANSFORMÉ EN SCÈNE DE ROCK : telle était la gageure à tenir pour ce spectacle. Il n'est pas sûr que Bob Wlson, metteur en scène et maître des cérémonies, y soit totalement parvenu. La scène reste froide. Glaciale. À mille lieues d'une musique délibérément électrique. Et comme en apesanteur.

L'Opéra de quat'sous (2009)

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