mercredi 8 août 2012

MUTSUMI TSUDA, " ÂMES ERRANTES ".

Travailleurs japonais arrivant en Nouvelle-Calédonie
(début du XXe siècle).

Photographe et Maître de Conférences à la Seian Université d’Otsu, Mutsumi Tsuda travaille depuis de nombreuses années sur la mémoire du peuple japonais. Au tout début des années 2000, elle étudie les différences (américaines et japonaises) dans l’appréciation contemporaine de la catastrophe d’Hiroshima.

Les hasards d’une résidence d’artiste en Nouvelle-Calédonie, en 2003, lui confirment l’importance d’une immigration japonaise. La rencontre des actuels descendants de ces travailleurs japonais, dont les premiers arrivèrent en 1892 pour y travailler dans les mines de nickel et qui furent suivis de bien d’autres, lui fait découvrir tout un pan occulté de l’histoire de son pays.

S’appuyant dès lors sur le travail d’ethnologues, se livrant elle-même à un travail d’enquête et d’analyse sur le terrain, largement soutenue par les descendants actuels de ces migrants, qu’elle rencontre et qui lui confient leurs souvenirs, elle en vient à reconstituer progressivement cette mémoire. Une exposition (Musée de la ville de Nouméa) et un livre s’inscrivent aujourd’hui, en 2012, dans la commémoration de « 120 ans de présence japonaise en Nouvelle-Calédonie ».

Travailleurs sous contrat, dans des conditions difficiles, beaucoup d’émigrants japonais ne supportent pas leur situation et s’évadent de la mine. Ce sera le cas de Denzo Higa, né en 1881 au Japon, dans l’île d’Okinawa, immigré en Nouvelle-Calédonie en 1905. En 1923, il épouse la fille d’un chef de tribu locale, dont il a des enfants. Bien des Japonais arrivés autrefois dans l’île se présenteront plus tard comme des « Kanaks du Japon ». Ces premiers migrants se sont au fil des ans insérés dans la société Nouvelle-Calédonienne.

Cinquante ans après l’arrivée de ces migrants, la deuxième guerre mondiale crée une rupture brutale. En 1941, après l’attaque de Pearl Harbour par la Marine Japonaise, les Japonais de Nouvelle-Calédonie sont arrêtés, rassemblés dans des camps, puis internés en Australie. Laura, la femme de Denzo Higa, dont on peut suivre dans l’ouvrage le long périple, entretient alors une correspondance avec son mari, qui décède en mai 1943, puis avec l’un de leurs amis.

Les familles sont séparées, déstabilisées, les biens des émigrants japonais confisqués. Après guerre, les déportés japonais sont rapatriés au Japon où ils regagnent pour la plupart leur région d’origine. Leurs femmes, leurs enfants et petits-enfants restés en Nouvelle-Calédonie perdent peu à peu le contact avec leurs racines japonaises, avec la langue et les coutumes de leurs ancêtres. Le « Japon avec forme » a ainsi peu à peu disparu, laissant dans la mémoire collective des descendants des premiers migrants quelque chose de plus ténu, de plus enfoui : la présence de ces « âmes errantes » que ce livre et cette exposition viennent heureusement raviver.

Âmes Errantes

Divergences, D'Hiroshima à Los Alamos