dimanche 17 mars 2013

SOTO LE PÉNÉTRABLE.


D’un artiste à l’autre, il est des modes d’approches des œuvres par le public très différenciés. Vouées à cet art qui s’est développé en France dans les années 1960-1970, et qui fut (et demeure) toujours excellement représenté par la Galerie Denise René sous l’appelation d’art cinétique, les œuvres de Jesus Rafael Soto (1923-2005) renvoient à un type de participation tout à la fois physique et cérébral.

Les « pénétrables », tout d’abord, ces structures (ou installations : mais on n’emploie pas encore le terme) constituées d’une forêt de tiges d’aluminium mobiles et diversement colorées qui s’ébattent du plafond jusqu’au sol. Le visiteur en traversant la structure pénètre bien un univers sensoriel ; son corps pourfend l’obstacle, s’insinue au travers de ces tiges et traverse le tout.

De l’extérieur, le tout ressemble à une pluie. Dense. Verticale. Au travers des lignes et des interstices, le paysage bouge et se reconstruit. C’est la vue alors qui est appelée en renfort pour apprécier ce paysage sans cesse contrarié, redessiné et reconstruit. — De l’intérieur aussi, les tiges d’aluminium forment une grille de lecture mouvante et mobile. Provisoirement incarcéré dans l’habitacle, le visiteur perçoit la salle environnante, mais découpée, lacérée, grillagée…

Devant ses toiles et ses « tableaux », Jesus Rafael Soto multiplie aussi les lignes, les filins et les mobiles qui viennent – en avant de la toile – perturber la lisibilité du motif ou du dessin de l’arrière-plan. Le monde visuel est complexe. Soto nous le rappelle constamment.

La spectateur ainsi joue et se promène, se penche, adopte ce point de vue de biais qui lui permettra de lire les œuvres dans l’ensemble de leurs couches et sous-couches. Volumes, Vibrations, Tableaux, Sculptures — son art est bel et bien cinétique et en mouvement.

Reconsidéré et réinventé à chacun des pas du visiteur.

Centre Georges Pompidou. 27 février-20 mai 2013. — Présentation des œuvres de l’artiste, rentrées par dation dans la collection du Musée national d’art moderne.

Vidéo

Entrée de l’exposition Ph. ©FDM, 2013

dimanche 10 mars 2013

LA PECHA KUCHA DE L’AICA ET DU PALAIS DE TOKYO.

Enfin un vrai débat inutile. — Tournant autour de cette intervention « ramassée » en 20 images et 6 minutes 40 de présentation d’une artiste-femme (nous étions le 8 mars) par 10 critiques d’art. Présentation proposée conjointement par l’AICA (Association internationale des critiques d’art) et le Palais de Tokyo.

Réaction immédiate, lettre ouverte et pétition sur le site d’Elisabeth Lebovici : NON. - Cette « gentille affaire » étant très bien résumée sur le site de la revue Mouvement, j’y renvoie les internautes (des deux, trois ou quatre sexes confondus : la question d’ailleurs est-elle là ?) : lien ci-dessous.

L’information m’était récemment passée sous le nez. — J’avais trouvé l’exercice extrêmement « casse-gueule » et difficile et ne m’y serais certainement pas risquée.

C’est que, voyez-vous, 6 minutes 40, c’est extrêmement long. On peut en accumuler des âneries et des platitudes [ou des merveilles]. Quant aux 20 images : en 6 minutes 40 et 20 images, on peut soit sauter au septième ciel, soit copieusement s’ennuyer.

Les futuristes, déjà, s’étaient essayés aux œuvres éclair. Mais elles étaient bien plus courtes et ramassées. Et (temporellement parlant) « fulgurantes ». Vous me direz qu’ici, il s’agit du discours critique et non des œuvres. Et qu’après tout, on peut tenir un discours bref sur une œuvre (ou performance) interminable.

Généralement c’est l’inverse qui se produit : le critique disserte et disserte jusqu’à plus soif sur les œuvres les plus brèves, des œuvres éphémères et qui (parfois) devraient le rester. — La durée d’une œuvre (ou d’une critique) ne saurait donc être un critère de sa pertinence.

Il me semble finalement que cet exercice devrait être réservé aux critiques extrêmement prolixes et bavard(e)s. La question serait de les trouver, les nommer, les coincer, les acculer : Vite. Vite. Résumez-vous.

Et là, je m’aperçois que j’ai fait très long. Trop long. Je m’arrête.

Un Post-scriptum, toutefois : je ne suis pas très sûre de la « source japonaise » du « pecha kucha ». – « Le bruit de la conversation », certes, certes. Mais s’agit-il, ici d’une « conversation » ? Il ne semble pas. Les fondateurs du « joujou », Astrid Klein et Mark Dytham, sont, en tout cas, deux apparents « occidentaux ». Et l’opération relève du plus charmant et du plus efficace marketing.

Rien à voir donc avec le « haïku », comme on peut le lire ici où là.

Le haïku relève d’un autre monde.

Revue Mouvement - Pecha Kucha de l'Aica

lundi 4 mars 2013

FUJIKO NAKAYA : THE FOG IN ITS LIGHTWEIGHT UNBEARABLE.

Installation. Toronto, 2006.
Ph. © Chrysanne Stathacos.

"The fog is constantly reacting to its own environment, revealing or concealing. The fog makes invisible things visible and invisible things visible like the wind."(Fujiko Nakaya, 1978)

Japan is the land of fogs, mists and clouds, hung heavily in the mountains they reveal and/or conceal. Water is everywhere in the peninsula Japanese and it is not uncommon to see a sudden rise of the masses of mist coming accompany the meandering landscape. Dense. Frayed. Torn into lineaments.

When she plants the spray and the mist on the periphery of the world, it is as if Fujiko Nakaya has taken and moved a fragment of Japan or a piece of her story (researchers and scientists, the father and sister both have "worked" ice, water and soil of the North) ...

"Sculpting fog" : to raise, to stretch, to fray. The build up in places where it was not always used to find it. In cities, around the museum, in the heart of houses, on stage too - the malleable mass hiding or revealing the step of the dancers...

Looking through the catalog of the collection Anarchive, we understand that the fog was to Fujiko Nakaya an endless reverie, and a Dionysian nature. The mist is exhilarating. You get lost and forgets. Circumscribed worlds and it penetrates ...

Make use of the technique and science for Fujiko Nakaya was a natural extension of his fascination with aggregates of droplets, misting and orchestration of these masses of fog where you can slide and play. The nature is extended and amplified by these gestures and these calculations that increase in us the dream. Imponderable. But CONCRETE.

FUJIKO NAKAYA. - FOG / BROUILLARD. Editions Anarchive 2012. Book with DVD-Video and DVD-Rom compiling a mass of archival documents. - Texts Fujiko Nakaya, Michel Butor, Yuji Morioka, Anne-Marie Duguet, Kenjiro Okazaki, Huyghe, Mildred Marion Halligan, Bill Viola and Urara Nakamura.

Presses du réel : Fujiko Nakaya

Digital archives on contemporary art

samedi 2 mars 2013

FUJIKO NAKAYA : LE BROUILLARD EN SON INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ.

Cloud Parking, in Linz, 2011.

Le brouillard réagit constamment à son propre environnement, le révélant ou le dissimulant. Le brouillard rend invisibles les choses visibles et visibles les choses invisibles comme le vent.” (Fujiko Nakaya, 1978)

Le Japon est le pays des brouillards, des brumes et des nuages densément accrochées aux montagnes qu’ils révèlent et/ou dissimulent. L’eau est partout dans la péninsule nippone et il n’est pas rare de voir s’élever soudain des masses de brume qui viennent accompagner les méandres du paysage. Denses. Effilochées. Déchirées en linéaments.

Lorsqu’elle dispose sur le pourtour de la planète ses installations de brume et de brouillard, c’est comme si Fujiko Nakaya prélevait et déplaçait un fragment du Japon ou un pan de son histoire à elle (chercheurs et scientifiques, son père et sa sœur ont tous deux « travaillé » la glace, l’eau et le sol du Grand Nord)…

“Sculpter le brouillard” : l’amasser, l’étirer, l’effilocher. L’accumuler en des lieux où l’on n’a pas toujours coutume de le trouver. Dans les villes, aux abords des musées, au cœur des habitations, sur scène aussi - la masse malléable accompagnant en les dissimulant et mangeant les pas des danseurs…

En parcourant le catalogue raisonné de la collection Anarchive, on comprend que le brouillard fut pour Fujiko Nakaya l’objet d’une interminable rêverie, et d’un parcours de nature dionysiaque. La brume est ennivrante. On s’y perd et s’y oublie. Elle circonscrit des mondes et se pénètre…

Faire appel à la technique et à la science fut pour Fujiko Nakaya le prolongement naturel de sa fascination pour les agrégats de gouttelettes, la brumisation et l’orchestration de ces masses de brouillard où l’on peut se glisser et jouer. La nature ainsi se prolonge et s’amplifie de ces gestes et ces calculs qui accroissent en nous la part d’un rêve. Impondérable. Mais CONCRET.

FUJIKO NAKAYA. – FOG/BROUILLARD. Editions Anarchive 2012. Livre accompagné d’un DVD Vidéo et d’un DVD-Rom compilant une masse de documents d’archives. – Textes de Fujiko Nakaya, Michel Butor, Yuji Morioka, Anne-Marie Duguet, Kenjiro Okazaki, Pierre-Damien Huyghe, Marion Mildred Halligan, Bill Viola et Urara Nakamura.

Presses du réel : Fujiko Nakaya

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