jeudi 30 octobre 2014

FIAC 2014. Des oiseaux, des mouches et le froissement du métal.

Claire Morgan, Folling Down 2014. Ph © FDM.

"Curieusement, je ne vois pas les mouches comme des animaux, mais comme des éléments." (Claire Morgan)

Les Foires, comme la FIAC, je les visite toujours de biais et de guingois, m'efforçant de happer l'écume de la rumeur qui - de stand en stand, d'œuvre en œuvre - véhicule une certaine histoire de l'art contemporain. L'air du temps. Le bruissement des relations sociales. L'art n'est nullement dégagé des contingences : toute foire est là pour le rappeler.

Personnage roi : le collectionneur. On le rencontre. On l'entend. On le pressent. Y compris celui dont on sait qu'il (ou plus rarement elle) a eu les honneurs d'une visite avant l'heure. Bien des jeux - d'échanges et financiers - sont déjà faits ou engagés.

Les galeristes ensuite, de stand en stand, se livrent à un certain jeu de la séduction. Misent sur la supposée incongruité de leurs poulains, sur les tensions, les écarts d'un accrochage (on s'en doute) très étudié.

Ma Galerie préférée, cette année : Karsten Greve. Pour la poésie de son accrochage. L'humour et la légereté des œuvres : Louise Bourgeois, Claire Morgan. Œuvres de femmes. Tricotées, tissées, délinéées dans l'espace. Éponge, laine, plumes, pistils de pissenlit, mouches et oiseaux taxidermisés. Part belle est faite à ces matériaux qui se travaillent, s'enfilent ou se tressent avec les mains, l'aiguille, le poinçon…. - Tout autour le vide… l'air… Du monde pourtant se presse tout autour.

Ailleurs : le plaisir de découvrir ou redécouvrir Chamberlain (une compression laiteuse, métallique et chromée), Kurt Schwitters (de minuscules collages), un autre collage de Jean Arp, les Allumettes de Raymond Hains, de très beaux Burri (troués, ROUGES et brûlés), deux Corps de Dames de Dubuffet : petits formats mais grands corps graphiques, étalés et aplatis autour de leur centre, en papillons, en flaques.

Je resterai sur l'installation de Claire Morgan : une arachnéenne vêture de mouches. Dentelle plus noire que noire, mais défaite et déliée, laissant apparaître en son cœur l'arc de cercle brun d'un rat ou d'un mulot empaillé. Animal de petite taille et qui n'est plus, au centre de la toile qu'un simple signe graphique.

Karsten Greve

FIAC 2014. Vue d'ensemble. Ph. © FDM.

lundi 27 octobre 2014

Les écrivains et la Grande Guerre : ARTAUD, BRETON, CÉLINE.

"Autour de Verdun". Un cantonnement. DR.

Conférence de Florence de Mèredieu,
auteur de "Antonin Artaud dans la guerre,
De Verdun à Hitler
", Blusson, 2013.

Maison du Patrimoine du Grand Troyes
Saint-Julien-les-Villas
Mercredi 29 octobre à 18H30 (entrée libre).

"Ma jeunesse - Mr le Major - je viens d'absorber du lait qui, j'espère, vous la fera paraître blanche." - Depuis vingt-trois mois, je prostitue ma peau au canon de l'ennemi." - La dernière fois que je suis allé au cimetière, une poule avait pondu sur le chemin. L'œuf était cassé". (Propos de malades, rapportés par André Breton à Théodore Fraenkel, août 1916)

1914-1918 : une génération d’écrivains (parmi lesquels Artaud, Breton, Céline) est projetée dans la Grande Guerre, ses tranchées, ses champs de bataille (Verdun), ses morts et ses blessés psychiques.

Cette guerre de 14-18, Antonin Artaud (1896-1948) ne cessera de la revivre. Comme acteur de cinéma, dans Verdun, Visions d’histoire et Les Croix de bois. Comme écrivain, auteur et acteur de théâtre. — Les textes et dessins de ses derniers cahiers sont l’expression de la guerre littéraire et graphique qu’il a mené à l’encontre d’une société qui a fait de lui : un « mutilé », un « amputé », un « déporté » de l’être.

Céline a, quant à lui, devancé l'appel et s'est engagé dès 1912 dans le corps des cuirassiers. Blessé quelques mois après les débuts du conflit, celui qui est alors Louis-Ferdinand Destouches sera versé dans un corps auxiliaire. Il ne cessera de revenir, dans ses œuvres (Voyage au bout de la nuit), sur l'horreur et l'absurdité d'un conflit qui a fait de beaucoup d'hommes de sa génération "des errants". Son œuvre future en portera une marque indélébile.

André Breton vivra l'essentiel de cette guerre en tant qu'interne dans les hopitaux psychiatriques. Il y découvrira les singuliers pouvoirs langagiers des troubles de la maladie mentale et s'émerveillera des transformations de la langue que présentent les soldats blessés et commotionnés. On est ici à la source du surréalisme, dans le creuset même de ce qui - bientôt - portera le nom d'écriture automatique.

Le Troisième Œil

Artaud dans "Les Croix de Bois" de Raymond Bernard.

samedi 25 octobre 2014

LEE UFAN. Aérien et minéral.

L'Arche de Versailles. Photo © FDM 2014.

"Entrouvrir un espace dans l'espace." (Lee Ufan)

Partir. Voyager. S'abstraire. Entrer dans un espace-temps de pure poésie. — Les œuvres minimalistes de l'artiste coréen, théoricien du Mono-ha, mouvement né au Japon dans les années 1970, entrent en curieuse (et parfaite) résonance avec les jardins de Versailles.

Retrouver le sens de la nature, des matériaux - donnés et tout faits - que nous offre le cosmos, tel est le sens profond du parcours de Lee Ufan. Qui fonctionne bien comme un anti-Duchamp. Point de ready-made ici, aucun objet préfabriqué par la main de l'homme et qu'il suffirait de désigner comme œuvre d'art et de signer. C'est le matériau naturel - et tout particulièrement la pierre - qui s'offre comme une donnée brute. Fondamentale.

Il ne s'agit plus que d'écouter, regarder, méditer…, de retrouver le sens d'un espace-temps originel de nature cosmique. - Les étoiles sont à proximité d'un sol où se trouvent marquées et prolongées l'ombre des éléments. Une installation comme L'Ombre des étoiles n'est pas sans évoquer le dispositif de Stone Age et de ses pierres dressées.

Les pierres et monolithes de Lee Ufan ne sont certes pas "dressés" dans le paysage, mais "posés", bruts et massifs. On comprend alors tout l'intérêt de la confrontation entre le monde archaïque de Lee Ufan et l'artifice du jardin à la française. Les bosquets enclos et domestiqués des jardins de Lenôtre, les allées (du Roi et de la Reine) à la parfaite géométrie et symétrie, laissent sourdre de leur sol les masses imposantes ou plus aériennes de quelques géants de pierre brute.

Les mouvements de l'air viennent se matérialiser au cœur de la perspective centrale du Château sous forme de ces "Lames de vent", horizontales ou verticales, qui se dressent ou se couchent sous la forme d'un matériau (l'acier) qui épouse et reflète la lumière ambiante.

Ceci est BEAU. Comme la rencontre - dans un espace temps démesuré - d'une nature "brute" (Lee Ufan) et d'un des summums de l'artifice : le jardin à la française. — Cette rencontre se vit comme une pure évidence.

L'Ombre des étoiles. Photo © FDM 2014.

dimanche 12 octobre 2014

L’Histoire Matérielle et Immatérielle de l'art… et MARCEL DUCHAMP.

Merce Cunningham, Walkaround Time (1964).

Parue en 1994, largement augmentée en 2004, l’Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (Larousse) fit d’emblée une large place à Marcel Duchamp. Le promoteur du ready-made, de la Boîte en valise et de la Mariée mise à nu par ses célibataires, même… est (avec Joseph Beuys et Yves Klein) un des trois auteurs-phares de l’ouvrage. C’est – de fait – l’artiste le plus cité et référencé dans le texte.

C’est assez dire que Duchamp joue un rôle fondamental dans l’économie de cette « nouvelle » histoire de l’art. Son influence se révèle tout au long de l’ouvrage. Ses œuvres et sa présence scandent les principales articulations du livre. Aucune autre histoire de l’art n’a (sans doute) à ce point intégré et tissé dans sa trame le Grand Œuvre duchampien.

L’imaginaire propre à Duchamp fut à ce point important pour moi qu’il a spontanément resurgi, en l’an 2000, sous la forme d’une « fiction théorique », lors de la fabrication par moi du 14e démarquage que j’entrepris du texte canonique de Borges, La Bibliothèque de Babel. — Transmuée en une valise et un nécessaire de voyage d’un nouveau genre, la Bibliothèque de Borges hébergea de la sorte un ensemble de rêveries qui couvrent toute l’œuvre de Monsieur Marcel.

C’est ainsi que naquit « Duchamp en forme de ready-made », livre à la couverture accordéon, largement inspiré de la physique amusante du XIXe siècle et bardé (comme le bagage duchampien) de soufflets, excroissances et diverses projections (de la quatrième à la troisième dimension et vice-versa). Ce livre traite (comme son titre le suggère) de l’œuvre de Marcel Duchamp, prise à la façon d’un ready-made, complexe et diversifié. Cette "œuvre ready-made" est modifiée, transformée, annotée et augmentée… mais n’en demeure pas moins sur de stricts rails duchampiens.

Pour ce qui est de l’Histoire matérielle et immatérielle des œuvres de Monsieur Marcel, je renvoie le lecteur à l’Index de l’ouvrage ainsi qu’à la table des matières et aux illustrations du livre. Ceci permettra à chacun de visiter et revisiter Duchamp de manière libre et diversifiée. Tout en s’attardant sur les nombreux liens et les diverses clés qui articulent cette œuvre à l’ensemble de l’art du 19e siècle finissant, d’un XXe siècle proliférant et d’un XXIe siècle bien engagé.

Parue en 1994 chez Bordas, la première édition comportait la reproduction d’une photographie de l’œuvre fameuse de Merce Cunningham, Walkaround Time (1964). Jasper Johns avait conçu pour le spectacle du danseur et chorégraphe américain un décor constitué de praticables transparents, inspirés du Grand corps de la Mariée duchampienne. — Marcel Duchamp vint sur scène saluer le public lors d’une des représentations du spectacle.

Cette photographie m’avait amplement fait rêver… J’espère qu’il en sera de même pour vous…

Table des matières Histoire matérielle…

Duchamp en forme de Ready-Made