lundi 23 février 2015

Fondation VUITTON. Les maquettes de FRANK GEHRY.

Frank Gehry, maquette de la Fondation Louis Vuitton
(Gehry Partners). Photo ©FDM 2015

Les maquettes occupent dans l'histoire de l'architecture une place singulière. Synthèse et modèle réduit de bâtiments qui fonctionnent eux-mêmes souvent à l'instar d'une imago mundi, l'ébauche du bâtiment rassemble la quintessence du projet créatif de l'architecte et témoigne de son rapport au monde.

Brève esquisse, papier ou carton froissé, chiffonné. - C'est ainsi souvent que commencent les projets architecturaux de Frank Gehry. Le miracle est qu'au cœur de l'intuition originelle et dans ce que l'on pourrait prendre pour d'innommables chiffons de papier, réside l'essentiel de l'œuvre à venir.

Matières et formes, tout est déjà là, tel un jeu de possibles, une virtualité (un bourgeon) prête à développer l'arsenal entier de ses invisibles plis. La mâture, pliée, resserrée, n'a plus qu'à se déployer.

Tout est donné dans cet augural chiffonnage de matière. L'utopie s'avère vivante. Il n'est qu'à arrimer l'intuition dans le réel. Cela prend alors du temps, des années de recherches et d'ajustements de tous ordres, avant que l'ensemble des filins, des boulons, des voilures permette à la structure entière du vaisseau d'être opérationnelle.

Les variantes et projets abandonnés figurent eux aussi virtuellement dans le bâtiment définitif. Car ces essais, ces tentatives ont de fait alimenté la conception générale de l'œuvre. Ici, en l'occurrence, la voilure et les transparences de l'aéronef de la Fondation Vuitton.

L'intuition première, le chiffonnage originel se lisent aujourd'hui dans le bâtiment fini, livré pour usage. - Musée, Fondation, parcourus en tous sens par des visiteurs dont chacun (on l'espère, et par-delà l'ensemble des discours déjà produits) aura du bâtiment (et de ses œuvres) une appréhension singulière.

*Maquettes de Frank Gehry (Gehry Partners), récemment exposées au Centre George Pompidou et à la Fondation Louis Vuitton.

Fondation LOUIS VUITTON

Frank Gehry, maquette pour la Fondation Louis Vuitton
(Gehry Partners). Photo ©FDM 2015

dimanche 15 février 2015

Hôtel SALÉ. Planète PICASSO.

Exposition inaugurale in situ, 2014.
© Musée national Picasso-Paris/ Béatrice Hatala.

Musée Picasso, Hôtel Salé (Paris).
Exposition inaugurale :
25 octobre 2014 - printemps 2015.

Riche de plus de 5000 œuvres, parmi lesquelles un grand nombre de pièces majeures, "représentatives" du parcours de l'artiste et qu'il a conservées tout au long de sa vie [les fameux "Picasso de Picasso"], le Musée Picasso rouvre ses portes dans le cadre rénové (et toujours aussi somptueux) de l'Hôtel Salé.

Élégant et spacieux, théâtral et baroque, ce bâtiment du XVIIe siècle se prête magnifiquement à la geste picassienne. Redessiné et repensé par Jean-Fançois Bodin (dans la continuité du travail de découpe minimaliste des espaces effectués par Roland Simounet, premier architecte en charge du Musée, en 1985), le Musée Picasso présente désormais ses collections du sous-sol jusqu'aux combles. Dans de grands espaces blancs, aériens et transparents. Les ombres y jouent et c'est un plaisir de s'y faufiler.

Dans les combles actuellement : quelques-uns des tableaux conservés par un Picasso collectionneur des œuvres qu'il aimait : une nature morte aux côtelettes de Chardin, des paysages de Cézanne, un Douanier Rousseau, un autoportrait de Miro, "les oranges" de Matisse, etc.

D'intéressantes correspondances surgissent. Comme ce lien ignoré (et surprenant) entre les rondeurs et le modelé duveteux de certaines sanguines de Renoir et d'autres tableaux peints par Picasso durant sa période néo-classique. - Alliés à un traitement géométrique et généreux des volumes, les rouges et les ocres l'emportent alors (Trois femmes à la fontaine, été 1921). Les volumes peints sont proprement sculpturaux. La référence à l'Antique (Rome et la Grèce) envahit pour un temps la planète Picasso.

Le parcours dans le Musée emprunte des rampes, des escaliers (dont le grand escalier monumental à double révolution de l'Hôtel Salé, actuellement dominé par une sculpture du visage de Marie-Thérèse Walter). Les espaces se développent sur le mode d'un labyrinthe aux nombreux dénivelés.

Impossible de recenser les multiples gestes et œuvres de ce parcours puissant et foisonnant, à l'image de la richesse picassienne. On retrouve là tous les Picasso que l'on aime - les aériens dessins et les portraits de la période rose, les guitares et les toiles cubistes, les tôles découpées, les figures du Minotaure, les lignes arrondies et rêveuses des formes de Marie-Thérèse Walter, les flèches, les angles et les volumes agressifs de Dora Maar, le profil antique et songeur de Jacqueline Roque…

Sans parler des multiples études et références à l"art primitif, qui ponctuent le contexte et la naissance des Demoiselles d'Avignon. — Bienvenue dans la planète Picasso.

Musée PICASSO

KANT & PICASSO : le bordel philosophique

Exposition inaugurale in situ, 2014.
© Musée national Picasso-Paris/ Béatrice Hatala.

samedi 7 février 2015

Dictionnaire de la critique d'art à Paris. 1890-1969.

Sous la direction de Claude Schvalberg.
Presses Universitaires de Rennes, 2014.

Bien reçu par la critique actuelle (qui rêve peut-être du temps futur où un ouvrage similaire couvrira les années 1970-2010 et au-delà…), cet ouvrage est d'abord et avant tout un excellent outil pour les chercheurs, les amateurs et curieux du langage et des écrits sur l'art.

Ce dictionnaire comprend quelque six cents notices, consacrés aux auteurs qui - de Jean Adhémar et Alain à Christian Zervos et Emile Zola - se sont penchés sur les différents arts. Il se voit redoublé d'une précieuse chronologie des ouvrages qui se sont succédés sur presque 80 ans, d'un répertoire des principales séries sur l'art et monographies publiées entre 1890 et 1970, de deux index (des noms et des périodiques). — C'est assez dire que les entrées (et découvertes) y sont multiples et foisonnantes.

Tout au long des pages, on s'aperçoit de l'étonnante diversité de cette "critique d'art" où l'on trouve aussi bien des journalistes professionnels et des "échotiers", des amateurs d'art, des historiens et des philosophes, des galeristes et des conservateurs de musée ou encore des écrivains qui, tels Apollinaire, Artaud ou bien Zola, se sont enflammés pour l'œuvre d'un artiste (mort ou vivant).

Ce champ de la critique d'art est à ce point immense (et différencié) qu'il peut sembler difficile à cerner. En dehors de cette tâche et de cet objectif communs qui consistent à "écrire" sur, ou à partir, ou dans le prolongement d'une œuvre. Les méthodes et les parcours critiques sont effectivement souvent aux antipodes les uns des autres.

Quoi de commun entre le parcours d'un Kahnweiler, galeriste et marchand d'art, épris de la pensée kantienne, l'idéalisme mystique d'un Péladan et les écrits d'un van Gogh, qui meurt l'année où commence notre dictionnaire, mais dont les écrits progressivement révélés consistent en lettres adressées à ses amis, ses proches et tout particulièrement son frère Théo ? Van Gogh y envisage non seulement son œuvre en cours mais l'ensemble de l'histoire des arts, qu'il analyse de manière fort percutante.

Alors ? Il existe certes une catégorie de "critiques d'art" professionnels dont le métier et la raison d'être est de découvrir, recenser, décrire et (aussi) se prononcer sur les œuvres de l'art. Mais il en est beaucoup qui sont ou furent "critiques" d'art de manière circonstancielle et temporaire (comme Antonin Artaud qui, à peine débarqué de Marseille, recense et décrit les salons artistiques du Paris des années 1920 dans la revue du Docteur Toulouse, Demain).

On comprend que la critique d'art puisse ne pas être une simple opération de description, de recensement et de critique (au sens de louer ou bien de démolir). Ecrire sur l'art se transforme en action créative : van Gogh, le suicidé de la société (d'Artaud) est de ces textes où l'écriture produit (à son tour) une œuvre. Laquelle vient non pas compléter celle-ci (les grandes œuvres n'ont besoin de nuls compléments). Mais créer, à son tour, un monde qui se tisse dans la trajectoire d'autres œuvres et d'autres parcours.

Le même individu peut ainsi être - tour à tour - historien, conservateur, écrivain, amateur d'art, voire même philosophe, homme de théâtre… et aussi "critique d'art". D'où la grande liberté de ces écrits sur l'art, qui ne se laissent pas facilement cantonner dans un cadre précis.

Pour ce qui est de ce Dictionnaire, généreusement et magistralement orchestré par Claude Schvalberg, notons que la période concernée - 1890-1969 - ne comporte (quasiment) que des critiques mâles. - Ce qui n'est certes pas le cas des "auteur(e)s" des notices du dit ouvrage ! Et qui ne se vérifierait assurément pas dans la riche époque critique qui démarre en 1970 : les critiques femmes y seront alors nombreuses.

*Rappelons que Claude Schvalberg est libraire à Paris, à l'enseigne de la Porte étroite, rue Bonaparte, à deux pas de l'Ecole des Beaux-Arts.